Pour le plaisir : Amandes de borasse confites

Nous avons souvent eu l’occasion d’évoquer sur Sinogastronomie le palmier à sucre, ou borasse (Borassus flabellifer, ត្នោត [tnaot]). De ce végétal essentiel, arbre symbole du Royaume du Cambodge, on dit chez les Khmers qu’il a 108 usages (pas seulement culinaires, bien sûr). J’en connais déjà un certain nombre, mais il m’arrive assez souvent d’en rencontrer qui m’étaient inconnu.
Par exemple, il y a seulement quelques jours, à l’occasion d’un déjeuner dans l’excellent restaurant Banteay Srey (rue 13 à Phnom Penh, à deux pays du Musée National), la cuisinière nous a proposé un dessert qui ne se trouvait pas sur la carte. (N’hésitez surtout pas à demander au personnel de service s’il n’y a pas quelque « plat du jour », les surprises sont fréquentes et toujours bonnes).
Le dessert en question est un mets dont je n’avais jamais entendu parler : des amandes de borasse confites (កំពីង​ត្នោត​ឆឹង [kâm-ping tnaot chheung]).
Les jeunes amandes de borasse se présentent sous la forme d’un disque gélatineux. Elles sont le plus souvent consommées telles quelles, fraîches, sans aucune préparation. Les amandes confites dégustées à Banteay Srey avaient quant à elles étaient débitées en tranches épaisses et confites dans du sucre (ឆឹង [cheeung]. Le mot « cheeung » désigne un mode de cuisson particulier, dans du sucre (le plus souvent du sucre blanc), de fruits et légumes divers, ainsi que de poisson séché.
L’assiettée d’amandes de borasse confites étaient garnie en son centre d’une boule de glace à la vanille, dont la fraîcheur a produit un joli contraste avec les tranches d’amandes tièdes. A recommander sans modération.
Ci-dessous, notre assiettée (photographie personnelle) :

Publicité
Tagué , , | Laisser un commentaire

Ingrédients : Pattes de tigre cambodgiennes

(Je reproduis ici un article que j’ai publié il y a quelques jours sur Tela Botanica, ici.)
A l’occasion des fêtes bouddhistes les plus importantes, il est courant que, voulant profiter de l’affluence, des marchands ambulants viennent installer leurs étals éphémères sur le parvis des pagodes, en particulier à la campagne. Ils y proposent souvent des produits que l’on rencontre rarement sur les marchés urbains…
Le 25 septembre 2022, les bouddhistes cambodgiens célébraient la fin des célébrations de Pchum Ben, sorte de fête des morts, qui est la fête cambodgienne la plus importante après le Nouvel An khmer. Je me suis rendu à cette occasion dans une belle pagode de la province de Takeo, au sud de Phnom Penh. Après avoir visité le sanctuaire et observé la foule nombreuse venue faire aux moines des offrandes de nourriture et d’argent, je suis allé me promener sur le parvis et fureter du côté des stands de vendeurs de nourriture. Mon attention fut attirée par un plateau métallique exhibant des tubercules, pour moi inconnus :

Pattes de tigre (Photographie : Pascal Médeville)

Interrogée, la paysanne qui vendait les tubercules en question m’expliqua avec un sourire un peu moqueur (« Il n’y a vraiment qu’un étranger pour poser ce genre de questions ! », semblait-elle penser) qu’il s’agissait de « patates « pattes de tigre » » (ដំឡូងដៃខ្លា [dâm-long dai khla] ; ដំឡូង [dâm-long] désigne les tubercules tels que les pommes de terre, les patates douces, les betteraves… ; ដៃ [dai] main, patte ; ខ្លា [khla] félin, tigre). La forme digitée des tubercules, ainsi que la couleur de leur peau, me semblaient en effet expliquer ce nom fort évocateur.
Pour une somme dérisoire, j’achetai l’un de ces tubercules et, enlevant la peau très fine, je découvris une chair de couleur blanche à grisâtre, farineuse et, dois-je avouer, d’une saveur qui ne m’a pas laissé une impression impérissable. Je gardai le nom khmer à l’esprit, en me promettant de faire quelques recherches sur cette espèce végétale de retour à Phnom Penh.
Pris par d’autres occupations, j’ai négligé pendant quelque temps de m’intéresser plus avant à ces « pattes de tigre », jusqu’à il y a quelques jours, quand, en mettant un peu d’ordre dans mes photos, j’ai redécouvert celle de mes tubercules.
En réalité, les patates « pattes de tigre » ne sont pas rares dans le pays. Tous les Khmers à qui j’en ai parlé les connaissent. L’espèce, connue sous le nom binomial de Dioscorea esculenta, se voit d’ailleurs consacrer une entrée dans le Dictionnaires des plantes utilisées au Cambodge de Pauline Dy Phon : « Liane grimpante, épineuse, à tubercules nombreux, disposés en faisceau ; espèce spontanée et cultivée dans toutes les régions tropicales. Les tubercules sont de la grosseur d’une pomme de terre, à chair blanche délicate, consommée après cuisson ». (p. 236)
La description de Mme Dy Phon s’applique peut-être plutôt à la sous-espèce D. esculenta var. spinosa, qui est effectivement armée de racines épineuses. Ce fait est illustré par le nom chinois de la sous-espèce : 有刺甘薯 [yǒucì gānshǔ], littéralement « patate douce doté d’épines », par opposition à celui de l’espèce principale : 甘薯 [gānshǔ], littéralement « patate douce ». (voir Flora of China, ici et ici) En français, on connaît l’espèce sous les noms de dioscorée comestible (d’après Pauline Dy Phon) ou de petit igname ; en anglais, on l’appelle « lesser yam ».
D. esculenta est probablement originaire d’Inde ; en Asie, elle est cultivée en Chine dans les provinces méridionales du Guangxi et de Hainan, ainsi qu’à Taiwan et dans le reste de l’Asie tropicale. En Chine, les premières mentions de la culture de l’espèce datent d’il y a plus de 1700 ans.
Les feuilles, à la texture molle, sont cordiformes et alternes.

Feuilles de D. esculenta (Photographie : H. Zell, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0)

Cette dioscorée est une plante grimpante, rampant sur le sol ou sur les arbustes à l’état sauvage, ou s’agrippant à des tuteurs lorsqu’elle est cultivée. Pour la culture, on plante en terre, à une profondeur d’une trentaine de centimètres, des morceaux de tubercule. Lorsque la plante sort de terre, on place près d’elle un tuteur et elle enroule ses vrilles autour dudit tuteur. Au Cambodge, la culture de cette patate est pratiquée notamment dans la région de Siem Reap.
Une autre caractéristique des patates « patte de tigre » vient encore justifier l’appellation de « pattes de tigres » : la présence de nombreuses radicelles à la surface des tubercules qui font comme des poils ; les radicelles sont enlevées avant cuisson.

Tubercules sorties de terre (Photographie : Ahmad Fuad Morad, CC-BY)

PS : Il existe encore au Cambodge une autre espèce également qualifiée de « patte de tigres » (ដើមដៃខ្លា [daem dai khla], arbre « patte de tigre »), Gardenia angkorensis, dont le bois est utilisé pour la confection de sceaux et la sculpture de statuettes. Il semblerait que dans ce cas, ce soit la forme des branches qui justifie l’appellation.

Tagué , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Bibliographie : Ang Choulean, Cuisine rurale d’Angkor

Le professeur Ang Choulean (né en 1949) est un anthropologue cambodgien de tout premier plan. Professeur à l’Université des Beaux-Arts, il est l’auteur de nombreux ouvrages et études. Il est l’un des principaux auteurs de la revue annuelle KhmeRenaissance, qui publie en khmer nombre d’articles relatifs à la culture et à la civilisation khmères.
Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages, dont le très remarqué Les êtres surnaturels dans la religion populaire khmère, publié en 1986 par le Cedoreck.
En 2020, l’association Yosothor, qui publie aussi KhmerRenaissance, a mis à la disposition du public un autre de ses ouvrages : Cuisine rurale d’Angkor – Essai de sociologie culinaire. Ce travail est le résultat d’enquêtes conduites sur une période de deux décennies, pour lesquelles le professeur Ang a parcouru de nombreux villages de la région d’Angkor, a fréquenté régulièrement plusieurs familles et a documenté leurs habitudes alimentaires.
A partir de ses observations, il a composé un livre dans lequel il décrit minutieusement l’alimentation de familles de quatre des villages visités. Il donne le détail des ingrédients choisis pour composer tel ou tel plat, décrit les sources d’approvisionnement (achat, cueillette, pèche, chasse…) et les techniques de préparation et de cuisson mises en œuvre, parle du partage des tâches dans la préparation des repas, des associations de saveurs, des repas organisés à l’occasion des évènements villageois et des fêtes religieuses ; tout est méticuleusement présenté. Grâce aux descriptions, on prend la mesure des différences importantes qui existent entre l’alimentation des paysans khmers et celle des urbains.
Il ne néglige pas non plus de parler des changements qui affectent l’agriculture traditionnelle, du choix fait parfois de cultures plus rentables, de l’entraide familiale et entre villageois, de la gestion des ressources naturelles.
Dans ce livre, le professeur Ang s’intéresse aussi aux femmes et aux hommes qu’il rencontre pendant le cours de ses recherches. En filigrane, on comprend que l’anthropologue éprouve envers les paysans khmers une véritable sympathie et qu’il se soucie de leur sort.
Le texte est bilingue khmer-français (les textes khmer et français ne sont cependant pas absolument parallèles). Le livre compte 296 pages et comporte aussi une intéressante bibliographie.
ISBN : 9789924939405

Tagué , , , , , , , | Laisser un commentaire

Ustensiles : Gamelle khmère

Rappel : l’un des sens du mot français « gamelle » est : « récipient individuel permettant d’emporter ses repas sur son lieu de travail ».
Peut-être avez-vous déjà vu dans les rues de Phnom Penh un moine mendiant sa nourriture, accompagné d’un aide qui porte pour lui un empilement de récipients ronds empilés les uns sur les autres ?
Peut-être avez-vous encore vu, par exemple à l’occasion de la fête de Pchum Ben, quelque jolie jeune fille khmère, mise sur son trente-et-un, apportant à la pagode un empilement de même type, superbement orné, contenant les offrandes de nourriture destinées aux moines ?
A vrai dire, cet ustensile servant à transporter divers mets placés dans des bols séparés n’est pas strictement cambodgien. On le trouve dans de nombreux pays, notamment en Inde, appelé en français « tiffin » (en anglais « tiffin carrier »). (Le mot « tiffin » désigne en Inde un déjeuner ou tout autre repas léger.)
Peut-être ignorez-vous que cette gamelle khmère est utilisée non pas seulement pour transporter la nourriture des bonzes, mais aussi, plus prosaïquement, pour contenir un repas apporté à quelqu’un sur son lieu de travail.
L’objet est connu en khmer sous le nom de « bols empilés » (ចានស្រាក់ [chan srăk]), ou tout simplement « empilement » (ស្រាក់ [srăk]). Les plus ordinaires de ces gamelles sont en métal. Elles comportent une charnière sur l’un des côtés, qui vient fermer une lame de métal qui sert à maintenir les bols empilés en position. Elles sont aussi munies d’une poignée facilitant le transport. Voici celle que nous utilisons à la maison :

Gamelle en métal (Photographie : Pascal Médeville)

Typiquement, ces gamelles à quatre étages contiennent : un bol de riz, un bol de soupe, et deux plats (poisson ou viande et légumes).
Lorsque l’on amène une offrande de nourriture à la pagode, il est de bon ton d’utiliser une gamelle fabriquée dans une matière plus précieuse, souvent en argent…

Gamelles en argent (Photographie : Page Facebook de la société ស្រុកក្រឡាញ)

… voire en or (ou au moins dorée) :

Gamelle dorée, 220 dollars (Photographie : page Facebook de Bangsreythom)

Personnellement, ma préférence va aux gamelles façonnées avec le « bois » du palmier à sucre :

Gamelle en bois de palmier à sucre (Photographie : page Facebook de Sokhan Workshop)

Certains fabricants proposent même des gamelles en bois précieux :

Gamelles en bois précieux (Photographie : page Facebook de SH Furniture)

Bien entendu, ces gamelles existent également en verre ou en plastique…

Tagué , , , , , , | Laisser un commentaire

Ingrédients : Fourmi tisserande d’Asie (អង្ក្រង)

Si vous avez visité le Cambodge, peut-être avez-vous eu l’occasion de rencontrer l’un ou l’autre plat contenant un ingrédient qui nous semble plutôt insolite : fourmis.
Dès novembre 2011, Sinogastronomie avait présenté le prahok, cette pâte de poisson fermentée, ingrédient indispensable de la cuisine cambodgienne (voir ici) ; en février 2013, nous avions encore parlé de la technique de fabrication du prahok (voir ici). Mais jamais, et c’est un oubli regrettable, n’avions-nous parlé de cet autre ingrédient-phare de la cuisine des Khmers que sont les fourmis, souvent cuisinées avec le prahok.
Les fourmis utilisées au Cambodge sont appelées « âng-krâng » (អង្ក្រង). Ce mot désigne spécifiquement une espèce connue en français sous le nom de « fourmi tisserande d’Asie » (Oecophylla smaragdina). Elle est qualifiée de « tisserande » car elle a la particularité, dixit Wikipedia, « de coudre les feuilles des arbres où elle habite avec le fil de soie que ses larves produisent » (voir ici). Le genre Oecophylla comporte deux espèces : notre fourmi asiatique, qui se trouve sur un région qui s’étend de l’Inde du Nord au nord de l’Australie, et la fourmi tisserande africaine (Oecophylla longinoda), plus connue sous le nom de fourmi rouge, que l’on ne trouve qu’en Afrique, sous à peu près les même latitudes.
Fourmi tisserande d’Asie mâle (Photo : Bernard DUPONT from FRANCE, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons)

Wikipedia précise que : « dans de nombreux pays, on la consomme pour son gastre riche en vitamine C et pour son goût acidulé. » C’est en effet ce goût acide qui est surtout recherché par les Cambodgiens. Dans les fourmis grillées au prahok haché, ce goût vient contrebalancer quelque peu la saveur très forte de la pâte de poisson.
Les colonies de fourmis sont nichées dans les arbres (manguiers…) et comptent plusieurs centaines de milliers d’individus. Réunir une quantité suffisante de fourmis pour constituer un plat n’est donc pas très difficile. Il faut cependant se dépêcher lors de la récolte, afin de réduire au minimum les piqûres douloureuses qui provoquent les bestioles.
Un nid de fourmis tisserandes (la photo vient du site Chanbokeo, voir ici) :

Au fond des nids des fourmis se nichent en général des œufs (appelés ពងអង្ក្រង [pong âng-krâng], littéralement « œufs de fourmis tisserandes »), qui ne sont en réalité pas les œufs des fourmis, mais ceux d’une autre espèce, connue sous le nom de « mé smel » (មេស្មិល), que je n’ai pas réussi à identifier (voir Ang Choulean, Cuisine rurale d’Angkor, p. 52). Ces œufs sont souvent blancs, parfois verts. Ils peuvent être cuisinés avec les fourmis, ou séparément.
Les fourmis sont recueillies de la façon suivante : on place un panier à l’extrémité d’un long bambou. Le bout du bambou va triturer le nid dans lequel sont nichées les fourmis, et les fourmis, œufs, feuilles tombent au fond du panier. Une fois le panier descendu, on verse rapidement son contenu dans un seau au fond duquel on a versé de l’eau (l’eau sert à étourdir les fourmis) et on enlève les feuilles et autres débris tombés dans le sceau. Les fourmis ne sont qu’étourdies. Si on les laisse dans un lieu sec, au bout de quelques minutes, elles reviennent à elles et se remettent à ramper.
La façon le plus simple de consommer fourmis et œufs est de les manger tels quels, crus, sans autre préparation. Une autre façon de les déguster consiste à les faire griller à sec dans une poêle, assaisonnés d’un peu de sel. On peut aussi les préparer en sauté, avec des légumes. On peut encore se contenter de les faire sauter avec du sel et de la ciboulette.
On peut aussi en faire des « pickles » ou les mêler avec d’autres ingrédients. Les fourmis peuvent être hachées avec du prahok cru, de la citronnelle, du galanga, des herbes aromatiques et du piment. Fourmis et œufs peuvent encore entrer dans la composition d’une soupe parfumée aux fourmis.
Dans la région d’Angkor, on prépare un plat particulier appelé « khâp » (ខ្នប់). Pour ce plat, on enveloppe les fourmis, les œufs et les ingrédients aromatiques dans une feuille de bananier que l’on fait rôtir sur des braises. Aux parfums des ingrédients aromatiques s’ajoute celui de la feuille de bananier.
(Les informations se rapportant au mode de préparation des plats à base de fourmis viennent d’un article en khmer de la revue Khmerenaissance, disponible ici, intitulé « Les plats cuisinés à partir des fourmis ».)
Ci-dessous, un plat de prahok sauté aux fourmis (la photo vient du site Chanbokeo, ici) :

Tagué , , , , , , | Laisser un commentaire

Poème gourmand de Chine

Les plus grands poètes chinois n’ont pas dédaigné de consacrer leur pinceau aux ingrédients et mets les plus divers. C’est le cas d’un huitain intitulé « Poème envoyé à Zuo après son retour à la montagne », le deuxième d’un triptyque éponyme (《佐还山后寄三首之二》), composé par l’un des plus grands poètes de l’histoire de la littérature chinoise : Du Fu (杜甫 dù fǔ, 712-770). Je reproduis ci-dessous la traduction interprétée de ce poème proposée par le grand intellectuel français d’origine chinoise, membre de l’Académie Française, François Cheng :

Sous la rosée blanche, les millets sont mûrs
L’ancienne promesse fut de les partager
D’ores et déjà fauchés et moulus fin
Pourquoi tarde-t-on à me les envoyer ?

Si leur goût ne vaut pas les chrysanthèmes d’or
Leur parfum s’accorde avec le bouillon de mauves
Nourriture qu’aimait jadis le vieil homme
Tiens, à y penser, l’eau me monte à la bouche !

Cette traduction se trouve à la page 221 de l’indispensable essai que François Cheng a consacré à la poésie de l’époque des Tang, L’écriture poétique chinoise, publié par les éditions du Seuil en 1977, réédité en 1996.

Ci-dessous, un plat de millet commun. La photo vient d’un site web consacré à la cuisine du Shaanxi (voir ici).

Tagué , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Vidéo : Les num banhchok de Battambang

En octobre 2018, dans la deuxième partie de ma série sur les spécialités de Battambang, j’avais évoqué les vermicelles de riz frais à la sauce sucrée (នំបញ្ចុកទឹកផ្អែម). Un ami me signale une petite vidéo de la série « Papilles – Invitation au voyage » d’Arte, intitulée « Au Cambodge, la soupe khmère au poisson de Sophorn ».
Cette jolie vidéo d’un peu plus de 4 minutes présente les ingrédients et la préparation de cette « soupe khmère ». (Une petite erreur s’est glissée dans la traduction : à 2m13s, ce ne sont pas des graines de soja qui sont ajoutées à la sauce, mais des haricots mungo.)
La vidéo se trouve ici (si vous êtes hors de France, vous devrez sans doute avoir recours à un VPN pour accéder à la vidéo). PS : Cette série d’Arte mérite d’être explorée : elle présente d’autres recettes asiatiques.

Assortiment de légumes pour num banhchok (Photographie : Pascal Médeville
Tagué , , , , , , | Laisser un commentaire

Des graines de jacquier qui n’en sont pas !

Il existe au Cambodge un dessert appelé « graine de jacquier » (គ្រាប់ខ្នុរ [kroap khnao]), que j’avais déjà évoqué de façon succincte, en novembre 2013, dans un article consacré à un triptyque de desserts khmers, voir ici.
Il est vrai qu’on consomme au Cambodge les graines de jacquier, qu’enveloppe la chair du gros fruit. Cette chair, de couleur jaune-clair à orangée, est forte en saveur et délicieuse. Pour pouvoir consommer les graines, il faut d’abord les cuire à l’eau ou les griller, car sinon elles sont toxiques. Le jésuite Alexandre de Rhodes (1591-1660), qui vécut au Tonkin et en Cochinchine entre 1624 et 1645, ne tarit d’ailleurs pas d’éloges quant à ces graines de jacquier, qu’il appelle « châtaignes » : « C’est en cette terre où il y a grande quantité de ces arbres qui portent de gros sacs tout pleins de châtaignes. Un seul est capable de charger un homme, aussi la providence de Dieu a voulu qu’ils ne viennent pas sur les branches qui ne pourraient pas les porter, mais ils sortent du tronc même. Le sac est une peau fort épaisse que l’on coupe, et on trouve dedans quelquefois cinq cents châtaignes, beaucoup plus grosses que les nôtres. Mais ce qu’elles ont de meilleur est la peau fort blanche et fort savoureuse, que l’on tire avant de cuire la châtaigne. » (cf. Divers voyages et missions du P. Alexandre de Rhodes en la Chine et autres royaumes de l’Orient, avec son retour en Europe par la Perse et l’Arménie, le tout divisé en trois parties). Voici d’ailleurs ci-dessous quelques graines de jacquier :

(Photographie : Pascal Médeville)

Ces « châtaignes » sont un peu farineuses, et ont peu de saveur. Sans doute est-ce la raison pour laquelle elles sont peu consommées aujourd’hui. En revanche, le dessert appelé en khmer « graine de jacquier » est assez apprécié. Il se présente sous la forme de cylindres longs d’environ 5 à 6 cm, d’une belle couleur jaune vif. Mais… dans leur composition n’entre pas la moindre parcelle de jacquier, qu’il s’agisse du fruit ou de la graine.
Il s’agit en réalité de boulettes dont la matière première principale est une purée de haricots mungo décortiqués.
On commence par faire tremper les haricots mungo décortiqués dans de l’eau pendant trois heures. Les haricots trempés sont ensuite soigneusement rincés à l’eau claire. Puis on les fait cuire à la vapeur une quinzaine de minutes. Une fois les haricots cuits, on ajoute les autres ingrédients : sucre en poudre et crème de coco.
Il faut mixer le mélange jusqu’à obtenir une pâte assez épaisse. Il s’agit ensuite d’assécher cette pâte en la faisant chauffer dans une poêle à feu doux, jusqu’à ce que le mélange épaississe. Il faut obtenir une pâte dont la consistance est similaire à celle de la pâte à choux. On peut alors confectionner les boulettes oblongues.
Une fois les boulettes façonnées, on casse des œufs de canne, on en conserve uniquement le jaune, que l’on mélange et que l’on filtre dans une passette. Il faut encore préparer un sirop de sucre assez riche (deux bols de sucre en poudre pour un bol d’eau). Lorsque le sirop bout, on s’arme d’une passette pour enlever l’écume qui se forme à la surface. On réduit la puissance du feu à feu doux.
Pour finir la préparation, on enrobe les boulettes de pâte de haricots mungo du jaune d’œufs de canne, et on place les boulettes dans le sirop. Lorsque l’ébullition du sirop reprend, on enlève les boulettes qui ont pris leur couleur jaune vif définitive, et on les dresse dans un plat.
Pourquoi alors parler de « graines de jacquier » ? Le nom de ce dessert vient tout simplement de sa forme et de sa couleur, qui évoquent la couleur de la graine du jacquier entourée de sa chair.
Ci-dessous, une petit portion de « graines de jacquier » :

(Photographie : Pascal Médeville)


La recette énoncée ci-dessous est parfaitement illustrée dans la vidéo suivante, trouvée sur Youtube :

Tagué , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Sucre tangmaè, une friandise khmère

Au Cambodge, le sucre de palme est fréquemment utilisé sous diverses formes : pâte, poudre, galettes, palets, sirop… Il existe une autre forme, aujourd’hui un peu oubliée, sous laquelle peut se consommer ce sucre, qualifié alors de sucre « tangmaè ».
« Yât et Tol avaient demandé avec insistance à leur mère de laisser un peu de sucre au fond de la marmite, puis avaient demandé à Phkar Kroch de continuer à triturer la mixture jusqu’à obtenir du sucre ‘tangmaè’ dont ils étaient friands. Bathovi prit une feuille de borasse pour ramasser un peu de sucre ‘tangmaè’ et y goûter comme les enfants. Il en loua le parfum et la saveur et dit que c’était encore meilleur que le chocolat. »
Ce court passage se trouve à la fin du chapitre XII d’un roman en khmer intitulé Orange Blossom, publié en 2011 par Bouchan Sokserei, jeune romancière cambodgien de talent. La scène se déroule à la fin du processus qui consiste à réduire la sève du palmier à sucre pour en faire ce sucre cambodgien exceptionnel à la saveur caramélisée et à la jolie couleur brun clair.
Ignorant le sens de l’expression khmère « sucre tangmaè » (ស្ករតាំងម៉ែ [skâ tang-maè]), je consulte un dictionnaire, qui me dit que c’est « une sorte de taffy », ce bonbon mou et moelleux  inventé aux États-Unis. Je ne suis guère plus avancé…
Heureusement, une petite vidéo (voir ci-dessous) m’en apprend beaucoup plus. Il s’agit en réalité d’un état particulier du sucre de borasse. Le sucre sous forme de pâte est mis dans une casserole et chauffé de façon à réduire fortement et à prendre une couleur marron foncé. Le sucre prend alors une consistance épaisse et est étalé sur une feuille de bananier, ou coulé dans de petits moules en feuilles de borasse. Il se consomme avant d’être solidifié. Comme vous pourrez le voir dans la vidéo ci-dessous, il peut être agrémenté d’arachides broyées. Une fois durci, ce sucre devient tout simplement un bonbon dur. Le processus de fabrication n’est en fait pas très éloigné de celui des bonbons durs que nous connaissons.
Une amie cambodgienne qui a vécu en Chine m’explique que c’est ce type de sucre qui est aussi utilisé dans l’Empire du Milieu pour fabriquer les fameuses brochettes de fruits enrobés d’une fine pellicule de sucre appelées « tang hulu » (糖葫芦 [táng húlú]), à la différence près que ce n’est pas du sucre de borasse que les Chinois utilisent, mais du maltose. Au Cambodge aussi, d’ailleurs, le maltose n’est pas inconnu : il est fabriqué à partir d’un mélange de riz ordinaire et de riz glutineux, et il est appelé « sucre tangmaè de riz » (ស្ករតាំងម៉ែ​​ស្រូវ [skâ tang-maè srov]).
Cette même amie cambodgienne m’explique encore que le sucre tangmaè avait aussi, dans le passé, une autre utilisation, bien peu gastronomique : les jeunes femmes cambodgiennes, voulant se faire belles le jour de leur mariage, s’appliquaient ce sucre sur le visage et s’en servaient comme d’une cire dépilatoire ! Cette « cire dépilatoire » était aussi parfois utilisée par les Cambodgiennes pour s’épiler les bras ou les jambes.
Ci-dessous, démonstration de fabrication et de dégustation de sucre tangmaè :

Tagué , , , , , , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Bibliographie : Roger Blench, Histoire des fruits en Asie du Sud-Est continentale

On a souvent tendance à penser que les produits agricoles rencontrés quotidiennement sur les marchés d’Asie du Sud-Est sont pour la plupart d’origine locale, mais ce n’est souvent pas le cas.
Bien évidemment, tout le monde ou presque sait bien que pommes de terre, maïs, tomates, piments… ont tous été importés du Nouveau Monde (principalement d’Amérique centrale et du Sud), mais on est parfois surpris d’apprendre que d’autres produits aujourd’hui couramment cultivés en Asie orientale viennent également du Nouveau Monde, ou d’autres provenances.
Dans un document d’une trentaine de pages intitulé « A history of fruits on the SE Asian mainland », le chercheur britannique Roger Blench tente de retracer, à partir de données d’archéogéographie, d’archéobotanique ou linguistiques, l’histoire de l’introduction d’un peu plus de soixante fruits en vente sur les marchés des pays de l’ancienne Indochine française, de Birmanie, de Thaïlande ou du Laos.
Parmi les fruits rencontrés en Asie du Sud-Est provenant du Nouveau Monde, souvent introduits via les Philippines par les navigateurs espagnols, citons pêle-mêle : papaye, noix de cajou, grenade, avocat, sapotille, fruit du dragon, pomme-lait…
Ce petit document, enrichi d’une jolie bibliographie, ne manquera pas d’intéresser les fructivores curieux. Le texte de Roger Blench peut être téléchargé à partir du site Research Gate, ici.

Pomme-lait verte à Phnom Penh (Photo : Pascal Médeville)
Tagué , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire