En octobre 2010, j’avais déjà publié ici un article consacré au « num ânsâm » (នំអន្សម), ce « gâteau » de riz cylindrique, composé de riz glutineux, garni d’une farce sucrée ou salée selon les goûts, enveloppé dans une feuille végétale, qui est le choix privilégié de nombreux gourmands khmers, notamment à l’occasion de la toussaint cambodgienne, la fête de Pchum Ben.
La saison s’y prêtant, nous avons consacré la journée de samedi dernier à confectionner une foultitude de ces friandises, pour notre consommation personnelle, et pour en distribuer aux amis et membres de la famille. L’ambiance était bien entendu à la fête, les blagues plus ou moins équivoques fusaient à foison, les rires étaient nombreux et retentissants, les anecdotes savoureuses… Bref, l’après-midi fut joyeuse. Mais revenons-en à nos ânsâm.

Tout d’abord, pour confectionner ces friandises, nous nous sommes équipés du nécessaire : feuilles de bananier et de lotus (nous avions décidé de ne pas nous priver, et de préparer les gâteaux avec deux types d’emballage), riz glutineux (mis à tremper la veille), de haricots mungo débarrassés de leur peau (mis également à tremper la veille), shiitake (champignons parfumés séchés, mis à tremper une heure avant le lancement des opérations, puis coupés en fines tranches), poitrine de porc débitée en lanières (mises à « mariner » dans du poivre moulu, du sel, de l’ail émincé et de l’échalote coupée en fines tranches) (nous avions en effet décidé de préparer la version salée de l’ânsâm), des crevettes séchées (mises également à tremper une heure avant le début des festivités). Remarquons que quelques jours plus tard, une nouvelle série d’ânsâm fut confectionnée, pour laquelle nous ajoutâmes à la farce, déjà plus riche que de coutume, de la mortadelle vietnamienne débitée en fins bâtonnets et des jaunes d’œufs de cane salés.


Avant de commencer à confectionner les gâteaux, le riz glutineux est « sauté » dans une large poêle avec du lait de coco. Le but de cet opération est de parfumer le riz d’une part, et d’autre part d’aider à sa cuisson. Si le riz n’est pas préalablement sauté, il aura du mal à cuire.

La matériel d’emballage avait été préparé : feuilles de lotus et de bananier soigneusement essuyées avec un chiffon humide, feuilles de lotus expertement découpées en quartiers et de bananier en ovales aplatis et soignés.

Pour ne pas se désagréger en cours de cuisson (qui peut se faire à l’eau ou à la vapeur, nous avons choisi cette seconde option), les cylindres doivent être solidement ficelés. On utilise aujourd’hui, le plus souvent, de la ficelle de nylon (comme sur la photo d’ânsâm du commerce ci-dessus), mais notre cuisinière a mis un point d’honneur à dénicher sur un marché de Phnom Penh une bobine de ficelle traditionnelle, confectionnée à partir de l’écorce d’un arbuste que les Cambodgiens appellent « preal » (ព្រាល) (Colona auriculata), ou plus précisément « preal khsaè » (ព្រាលខ្សែ, littéralement « preal à ficelle »)(note). Notons au passage que, comme le raphia, la ficelle de preal doit être trempée dans l’eau avant usage, sinon elle est trop cassante.

Une fois que tout est prêt, c’est un jeu d’enfant : on étale devant soi, en les superposant partiellement, deux quartiers de feuille de lotus (ou trois ovales aplatis de feuille de bananier), on place au centre une couche de riz glutineux que l’on étale bien avec une cuillère. Viennent ensuite une couche de haricots mungo, puis les lanières de porc, puis les tranches de shiitake et les crevettes. A partir de là, deux techniques existent : on peut ajouter une nouvelle couche de riz glutineux avant d’enrouler, ou alors, si la première de riz glutineux a été étalée de façon assez large, on enroule directement.

Une fois le cylindre formé, on rabat les feuilles à l’une des extrémités de façon à obturer le fond du cylindre, on recomplète de riz la cavité excessive se trouvant à l’autre extrémité de façon à avoir un cylindre bien replet, et l’on rabat les feuilles de ladite autre extrémité. Enfin, sans relâcher les feuilles rabattues, on s’empare prestement de la ficelle de preal et l’on ligote soigneusement et fermement le cylindre.

Une fois la (longue) cuisson achevée, il ne reste plus qu’à déguster cet ânsâm de luxe ! Signalons que les ânsâm emballés dans la feuille de lotus ont dans leur palette organoleptique une note d’amertume, absente chez les ânsâm emballés dans la feuille de bananier.

Note : Le « preal à ficelle » est aussi appelé « preal à torche » (ព្រាលចន្លុះ [preal chânloh]) car ses feuilles, mélangées à la résine, peuvent constituer la partie combustible d’une torche.