Préparation de la viande d’animaux sauvages au bagne de Poulo Condore

Le bagne de Poulo Condore fut le bagne indochinois que les autorités françaises en Indochine utilisèrent pour enfermer principalement les prisonniers politiques les plus notoires du Viet Nam, du Cambodge et du Laos à partir de 1863 et jusqu’au départ des Français d’Indochine.
Ce bagne était connu pour son extrême dureté : la mortalité a varié, selon les époques, de 30 à 70%, mortalité consécutive aux traitements, à la torture et à la malnutrition.

Bunchan Mol

Bunchan Mol, un Cambodgien qui avait été arrêté par la police française à l’occasion de la « révolte des ombrelles » en 1942, fut d’abord enfermé à la prison de Phnom Penh, puis envoyé à Saïgon pour y être jugé. Il fut condamné aux travaux forcés à Poulo Condore. Il fut libéré du bagne, avec d’autres activistes cambodgiens, par l’armée japonaise lorsque celle-ci déposa les autorités françaises en 1945
De son séjour de trois ans dans le bagne, il a donné un récit poignant dans un livre intitulé Prison politique (គុកនយោបាយ) (non traduit), publié en 1972, dans lequel il décrit la vie qui fut la sienne et celle de nombreux autres dans ce terrible endroit. La nourriture est naturellement plusieurs fois évoquées dans soin récit.

Cuisson de la viande d’animaux sauvages

Au Chapitre VIII de Prison Politique, Bun Chan Mol, alors affecté à l’équipe chargée de récupérer dans les montagnes sauvages de l’île le bois de cuisson indispensable à la colonie pénitentiaire, explique comment les bagnards chassaient les animaux qu’ils trouvaient pour les cuisiner et améliorer leur bien maigre ordinaire. Voici la traduction de ce passage (il se trouve à la page 31 de l’édition publiée à Phnom Penh en 1972) :

A cette époque, je pus me nourrir de la chair d’animaux de toutes sortes, qu’il s’agisse de celles des lézards arboricoles, des scinques, des serpents, des chauves-souris, des rats des bambous ou encore des varans, que je n’avais jamais mangé jusqu’alors. La chair de tous ces animaux, une fois parfaitement nettoyée et lavée à l’eau, est hachée grossièrement, puis cuite en soupe acidulée avec des feuilles de thneung(1), des fleurs ou des fruits de mangoustanier sauvage, à laquelle on ajoute du sel et de la saumure de poisson(2), puis de l’herbe à paddy ou du basilic sacré, de façon à obtenir un fumet des plus appétissants. Le goût de cette préparation est assez bon et, la faim aidant, l’ensemble se révèle tout à fait savoureux. Avec une copieuse ration de riz blanc, cela redonnait des forces. Mes camarades se régalaient également de la viande de ces animaux ; ne pas la manger, c’était s’exposer à la faim et, lorsqu’on a faim, on n’a pas de forces. La récolte de bois était mise à profit pour rechercher les animaux. A peine apercevait-on un animal, quel qu’il soit, qu’on s’efforçait de l’attraper afin de le transformer en nourriture. Quant à moi, me revenait seulement la tâche de cuire le riz et c’étaient les Vietnamiens qui se chargeaient de la cuisine car, arrivés ici avant nous, il avait acquis une riche expérience. Au début, avant que je ne mange la viande de ces animaux, elle me semblait suspecte et sans texture, mais après y avoir goûté une première fois, elle se révéla aussi bonne que celle des animaux habituels. Je compris alors que, pour peu que l’on utilise les bons ingrédients, et que l’on ait suffisamment faim, ces viandes étaient tout aussi délicieuses les unes que les autres, d’autant plus que l’on avait travaillé du matin jusqu’à midi en n’ayant dans le ventre qu’une pauvre ration de bouillie de riz.
Notes :
(1) Thneung (ថ្នឹង) Aganonerion polymorphum, voir ici.
(2) Saumure de poisson (ទឹកត្រី), i.e. le condiment connu en France sous le nom de « nuoc mam » J’ai relevé dans le livre de Bun Chan Mol d’autres passages plus particulièrement consacrés à la nourriture à Poulo Condore, je les présenterai dans un avenir pas trop lointain.

Un représentant de la famille des scinques (Photographie : Alessandro Catenazzi, CC BY-SA 2.5)
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