Littérature et gastronomie : Festin de viande de chien à Vân Đình (Nguyên Huy Thiêp)

Voici le dernier volet de la partie gastronomique des aventures d’une famille vietnamienne contée dans la nouvelle de Nguyên Huy Thiêp, « La dernière goutte de sang ». À l’épisode précédent, le nouvelliste vietnamien avait décrit le banquet qui avait été organisé par M. Gia pour célébrer la réussite de son petit-fils, Pham Ngọc Chiểu, au concours du mandarinat. Après quelques années dans la fonction publique, pendant lesquelles le jeune Chiểu se distingue par la rouerie et le manque de scrupules qui caractérisent la carrière mandarinale (que ce soit en Chine ou au Vietnam), il est démis de ses fonctions pour avoir fait rosser un missionnaire français qui, pour le malheur de Chiểu, était fort influent. Chiểu met donc fin à sa carrière et coule des jours heureux dans sa région natale. Seule ombre au tableau : il n’a pas d’héritier ! Il part donc en pèlerinage avec son épouse, Madame Diêu, pour demander au Bouddha de lui accorder un fils. En chemin, il s’arrête pour déjeuner dans une auberge de Vân Đình, bourg réputé pour la qualité de ses mets à base de viande de chien. Voici le passage (une fois de plus, je reproduis la savoureuse traduction de Kim Lefèvre, dans le recueil Un Général à la retraite, publié par les éditions de L’Aube – ISBN : 978-2-8159-1123-8) :
« … Lorsque le fiacre passa devant une gargote à vins, Chiểu ordonna au cocher de s’arrêter.
Il entra, commanda de l’alcool de riz et de la viande de chien. Mme Diêu tenta de convaincre son mari qu’il valait mieux manger maigre un jour de prières à Bouddha, mais Chiểu se rit d’elle :
 » J’ai toujours entendu dire que le siège du Bouddha est dans notre cœur ; depuis quand est-il dans notre estomac ? La viande de chien de Van Đình est la meilleure qui soit : ce serait idiot de ne pas en goûter. « 
Ne sachant pas comment argumenter, Mme Diêu ne dit pas un mot et se contenta de la boule de riz blanc qu’elle avait emportée avec elle.
L’aubergiste servit à Chiểu une assiette de viande cuite à l’eau, une assiette de boudin, une assiette de ragoût, une assiette de viande grillée, un bol de bouillon, un bol de sang coagulé et un flacon d’alcool de riz. Chiểu mangea bruyamment, comme un vulgaire soldat.
Après s’être restaurée, Mme Diêu acheta une paire de gâteaux de riz gluant qu’elle donna au cocher puis alla attendre son mari à l’intérieur du fiacre. »
Un petit commentaire : La règle pour un bouddhiste du grand véhicule qui prend sa religion au sérieux est au minimum de s’abstenir de consommer toute chair, car il convient de ne jamais ôter la vie à un animal. Les plus fervents s’abstiennent de tout produit d’origine animal (lait, œufs), et même de toute alliacée (ail, oignon, échalote, etc.), pour ne pas avoir de mauvaise haleine et ne pas risquer de profaner les textes sacrés lors de leur lecture. Au quotidien, la plupart des bouddhistes aménagent ces règles, et ne s’imposent pas vraiment de limite pour consommer viandes, volailles ou poissons (on évite quand même de manger de la viande de chien). Mais, comme le dit Mme Diêu, un jour de prières au Bouddha, il convient en effet de faire maigre.
Ci-dessous, la photo de quelques plats végétariens au Vietnam (la photo vient d’ici) :
yuenan suzhai

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