Gastronomie traditionnelle : Le bourg de Bacheng, capitale universelle du crabe de grande écluse

Le bourg de Bacheng (en chinois 巴城镇 [bāchéngzhèn]), situé sur la rive orientale du lac Yangcheng, est le lieu où est née la légende du crabe de grande écluse (大闸蟹 [dàzháxiè]), aujourd’hui connue de tous les Chinois qui s’intéressent de près ou de loin à la dégustation de ce crustacé d’eau douce, et qui s’est largement répandue dans toute l’Asie orientale et au-delà. Je n’exagère pas : quand la saison s’y prête (comme en ce moment, même si la saison touche à sa fin), le crabe de grande écluse est même exporté jusque dans les restaurants chinois de Phnom Penh, où il est vendu son pesant d’or, au presque. On en trouve aussi en Thaïlande, à Taiwan, au Japon et en Corée.
Et pourtant, le bourg de Bacheng n’est qu’une agglomération d’importance sinon mineure, situé sur le territoire de la ville de Kunshan, elle-même incluse dans la sphère administrative de la municipalité de Suzhou.
La population totale du bourg est d’à peine 63.000 habitants (ce qui, à l’échelle de la Chine, en fait tout au plus un gros village), qui sont avant tout des agriculteurs et de pisciculteurs. Et ce bourg serait resté largement inconnu si l’on n’y avait pas développé à outrance l’industrie du crabe d’eau douce. Certes, on parle « crabe de grande écluse du lac Yangcheng » (阳澄湖大闸蟹 [yángchénghú dàzháxiè]), et non de « crabe de Bacheng », mais les vrais amateurs savent bien que c’est à Bacheng que l’on trouve les plus beaux représentants de cette variété particulière de crustacés d’eau douce.
Le lac Yangcheng, où sont élevés les fameux crabes, se trouve à la limite du territoire de la municipalité autonome de Shanghai à l’Est, du territoire de la ville de Suzhou à l’Ouest, et à proximité de voies de communication d’importance que sont le chemin de fer de Pékin à Shanghai, l’autoroute de Nanjing à Shanghai, et la route nationale 312 ; c’est d’ailleurs par cette route nationale que l’on accède à la rive orientale du lac, là où sont amassés les restaurations spécialisés.
bacheng_01La renommée du crabe est telle que des dizaines de restaurants ont été littéralement ancrés sur les rives du plan d’eau : il s’agit de restaurants flottants, au sens littéral du terme, car édifiés sur des barges amarrées à la rive. La « poupe » de ces barges donne directement sur le lac. Ce dernier point est essentiel, car c’est à l’arrière des restaurants que sont attachées les nasses, plongées dans l’eau du lac, qui contiennent les crabes vivants.
nasses dazhaxie (3)On peut bien sûr aller observer ces nasses et leurs hôtes au destin tragique, et même choisir un par un les crustacés que l’on voudra sacrifier sur l’autel de la gourmandise. On peut alors observer la dextérité avec laquelle les préposés aux crabes se saisissent des animaux sans se faire pincer les doigts, et attachent pattes et pinces avec une cordelette de coton qui empêchera à la bête de s’échapper, ou de bouger lorsqu’elle sera placée dans la claie de bambou où elle sera cuite à la vapeur.
Les restaurants, pour la plupart, ne sont exploités que lors de la saison éphémère, de mi-septembre à début décembre, de la dégustation du crabe de grande écluse, et sont pris d’assaut le week-end. En plus des crustacés entiers, leurs cartes proposent bien sûr de multiples mets, notamment des mets dans la composition desquels la chair et les sécrétions et glandes sexuelles du crabe ont un rôle à jouer. L’un des restaurants qu’il m’est arrivé de fréquenter propose par exemple un « banquet de crabe » composé de pas moins de 20 plats utilisant tous du crabe ; parmi les plus classique, citons : le petit chou chinois aux gonades de crabes (蟹黄菜心 [xiéhuáng càixīn]), le tofu à la « poudre de crabe » (en fait, la chair, 蟹粉豆腐 [xièfěn dòufǔ]), ou encore les petits pains de claie à la « poudre de crabe » (蟹粉小笼 [xièfěn xiǎolóng]), dont nous avions déjà parlé ici. Voici le feuillet, récupéré il y a trois ou quatre ans,  donnant la liste complète de ces plats (notez cependant qu’il manque à la liste un grand classique : les « têtes de lion au jaune de crabe » 蟹黄狮子头 [xièhuáng shīzitóu], dont j’aurai l’occasion de parler prochainement) :
carte dazhaxieLe développement exponentiel de la voiture privée en Chine constitue bien évidemment une véritable aubaine pour ces établissements, car il permet à de nombreux gourmands de s’affranchir des contraintes des transports en commun pour se déplacer jusque sur l’une des aires qui constellent les rives du lac Yangcheng de Bacheng. Et ces gourmands viennent parfois de loin ! Lors de mon dernier passage en ces lieux (le 17 novembre 2013), j’ai noté sur les parkings la présence de voiture immatriculées dans la province du Jiangsu, bien sûr, mais aussi de nombreux véhicules venant de la municipalité de Shanghai, et même un nombre non négligeable d’automobiles venant de la province du Zhejiang (il faut tout de même compter au moins deux heures de route) !
C’est donc dire que j’exagère à peine, lorsque je dis que le bourg de Bacheng est aujourd’hui la « capitale universelle du crabe de grande écluse » ! Mais qu’importent les qualificatifs. Si vous vous trouvez un jour dans le voisinage de Bacheng pendant la magnifique saison du crabe de grande écluse, vous auriez bien tort d’hésiter à faire le déplacement.

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