Restos : Les p’tits pains frits du Muet (哑巴生煎), Suzhou, Chine

Sinogastronomie a déjà eu l’occasion de présenter une spécialité culinaire bien connue, originaire de Shanghai mais portée à son apogée dans la ville de Suzhou : les « petits pains frits » (生煎馒头 [shēngjiān mǎntóu]) (voir ici).
Je dis que les Suzhoulais ont porté cette spécialité culinaire à son apogée car, avec la délicatesse, la gourmandise et la finesse qui les caractérise, ils sont parvenus à trouver les proportions et les processus exacts pour donner à la pâte (partiellement levée) la texture parfaite, pour adjoindre la quantité idéale de sucre, et pour agrémenter la farce qui garnit ces petits pains de la quantité idoine de gélatine à base de peau de porc, pour obtenir les petits pains fris (de la taille approximative d’une balle de ping-pong) à la base subtilement croustillante, à la peau résistant idéalement sous l’assaut des dents, et à la farce baignée de bouillon à parfaitement juteuse.
À Suzhou, les plus connus de ces petits pains frits sont ceux que l’on a surnommé « les p’tits pains frits du Muet » (哑巴生煎 [yǎbā shēngjiān] ; 哑巴 signifie « muet », 生煎 est l’abréviation de 生煎馒头). On raconte qu’il y a une cinquantaine d’années, un habitant du cru atteint de mutisme congénital, avait réussi à trouver le moyen de subvenir à ses besoins en installant, près d’un pont situé dans la portion nord-ouest de la vieille ville, un stand ambulant sur lequel il préparait, devant les yeux de ses clients, de superbes poêlées de ces petits pains d’origine shanghaïenne. Talentueux, ce cuisinier de fortune acquit rapidement une réputation telle qu’une queue respectable se formait devant son étal à l’heure à laquelle il commençait à distribuer ses portions de petits pains.
Marié, « le Muet » (personne n’a retenu son nom) eut une fille. Quand cette dernière fut en âge de travailler, elle reprit la suite de son père, qui prit sa retraite, et installa le stand dans un petit restaurant qui fut créé dans une résidence située juste au-delà des limites orientales de la vieille ville.
J’avais entendu parler des légendaires petits pains frits du muet par Monsieur Sun Guobin, mon professeur d’expression chinoise écrite, mais je n’aurais jamais eu l’occasion d’y goûter si un autre ami (Monsieur Jiang Wei, propriétaire du restaurant Weiji que nous avons présenté ici récemment), auquel je demandais s’il connaissait les fameuses gourmandises, ne m’avait amené dans le petit restaurant ouvert par la fille du Muet. Bien sûr, je me régalai, en regrettant toutefois que l’établissement ne fût pas situé plus près de l’appartement que je louais alors non loin du centre-ville.
Ma silencieuse prière fut apparemment entendue par le dieu des gourmands (quoiqu’un un peu tard), car la fille du muet décida de s’agrandir, et d’installer dans la rue Lindun (林顿路), bordant à l’est la grande rue piétonne et commerçante de Suzhou, la rue « devant le temple taoïste » (观前街 [guànqiánjiē]), un restaurant plus grand, et surtout mieux susceptible d’achalandage. Je dis que la réaction divine fut un peu tardive, car quand le nouvel établissement, tout simplement appelé « Les p’tits pains frits du Muet » (哑巴生煎), fut créé, j’avais déménagé en banlieue… Aujourd’hui, bien que je ne vive plus à Suzhou, à chaque fois que je reviens dans la ville pour mes besoins professionnels, je ne manque pas d’aller payer au moins une visite au restaurant, d’autant plus facilement que pour me rendre de mon bureau à la rue Lindun, je peux désormais emprunter la toute nouvelle ligne du métro de Suzhou. Je me procure ainsi, à prix extrêmement modique (la portion de huit petits pains coûte moins de trois euros !), un déjeuner léger, propre à satisfaire mon insatiable gourmandise.
Je m’y rends en général aux environs de treize heures, car à l’heure du déjeuner, la queue qui se forme devant le guichet où l’on vient échanger sa portion de petits pains contre le ticket acheté au comptoir (à l’entrée du restaurant) déborde largement à l’extérieur de l’établissement, même par froid glacial ! Je m’y rends également parfois pour un petit-déjeuner tardif, et débuter ainsi agréablement une dure journée.
Le restaurant propose, outre ses fameux petits pains, des bols de nouilles au bouillon, mais bon, seuls les convives non avertis commandent autre chose que la spécialité du lieu : manger des nouilles chez les p’tits pains du Muet, ce serait comme s’aventurer à déguster un cassoulet toulousain chez un écailler parisien !
(La photo ci-dessous fut prise par l’auteur de ce blog, le 23 mars 2013, à la sortie du petit-déjeuner pris chez la fille du Muet.)
yaba shengjian

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4 commentaires pour Restos : Les p’tits pains frits du Muet (哑巴生煎), Suzhou, Chine

  1. Jess dit :

    Un article passionnant comme toujours! Je ne manquerai pas de faire un saut chez la fille du muet lors de mon passage à Suzhou ; si vous avez des adresses ou conseils côté gastronomie du Jiangsu (et de Shanghai) je suis preneuse.

    • pascalkh dit :

      Les établissements dans lesquels on peut se régaler sont vraiment nombreux, surtout dans le région de Suzhou et Shanghai !
      Et plus je m’intéresse à la gastronomie asiatique, plus je me rends compte de l’étendue de mon ignorance… À Shanghai et à Suzhou, le monde de la gastronomie évolue en permance, c’est vraiment difficile de suivre !

      • Jess dit :

        Merci de votre réponse! Je dois dire que je ressens la même chose, je pense d’ailleurs qu’une vie entière ne serait pas suffisante pour parcourir l’ensemble des mets que la Chine a à offrir (alors si en plus on s’intéresse aux autres gastronomies asiatiques…) Auriez-vous des ouvrages à me conseiller sur la gastronomie de Shanghai et de ses provinces voisines? (en français, en espagnol ou en anglais)
        Jess / shakiri13@hotmail.com

      • pascalkh dit :

        Désolé pour ma réponse tardive…
        Je ne connais pas d’ouvrage en langues occidentales spécifiquement consacrés à la gastronomie de la région de Shanghai, mais vous trouverez certainement pas mal de choses sur les divers blogs traitant la cuisine asiatique ou chinois (je pense notamment au Canard du Mékon ou aux Recettes d’une Chinoise).

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