Ingrédients : Fat Choy, le légume qui dévaste les steppes mongoles

J’ai eu l’occasion il y a quelques jours de goûter aux dim-sums spécialement préparés par les cuisiniers du restaurant Yisang à Phnom-Penh pour la nouvelle année chinoise. Parmi ces « vapeurs », s’en trouvaient deux dans la composition desquelles entrait un végétal sujet à controverse : le « fat choy » (en chinois 发菜 fàcài, « fat choy » étant la prononciation cantonaise du mot), appelé aussi en anglais « black moss », « hair moss » ou encore « hair weed ». La langue française semble en être restée à l’appellation chinoise de « fat choy ».
Ce légume est utilisé fréquemment à l’occasion du nouvel an chinois uniquement pour son nom. En effet, en dialecte de Canton, « fat choy » est homonyme du « fat choy » que l’on trouve l’expression « gung hay fat choy » (en chinois mandarin 恭喜发财 [gōngxǐ fācái]), qui est un vœu de prospérité que l’on s’adresse traditionnellement à l’occasion de la fête du printemps.
Je disais que ce légume était sujet à controverse en pensant à son apparence : vendu séché, il ressemble à s’y méprendre à longs cheveux noirs, ce qui rebute un certain nombre de gourmets.
Mais c’est préparant le présent billet que j’ai appris que l’apparence n’était pas le seul sujet de controverse. En effet, ce que je pensais être un « légume » est en réalité une cyanobactérie (une algue bleu-vert) d’eau douce, qui pousse naturellement dans le désert du Gobi et sur les plateaux du Qinghai. Il s’agit de l’espèce Nostoc flagelliforme. D’après les recherches conduites par l’Université Chinoise de Hong-Kong, ce « légume » non seulement n’aurait aucune valeur nutritionnelle, mais en outre contiendrait des toxines de nature à affecter le fonctionnement normal des cellules nerveuses. Un professeur ayant dirigé ces recherches explique encore que la consommation (excessive) de fat choy pourrait être la cause de maladies dégénératives telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, ou encore la démence. Cependant, la pharmacopée chinoise traditionnelle lui prête des vertus nutritives (il serait riche en collagène), même s’il n’a pas de saveur marquée. En Chine, sa consommation est signalée dans un ouvrage encyclopédique dès le IV° siècle de notre ère. Je suis un peu perplexe.
Mais le principal sujet de controverse ne vient pas de sa valeur ou absence de valeur nutritive, ni de sa toxicité. Le souci est que, avec l’élévation générale du niveau de vie de la population chinoise, la demande en fat choy s’est fortement accrue, et la nature ne suffit pas seule à satisfaire la demande. La surexploitation des ressources naturelles provoque érosion et désertification, au point que le Bureau des narcotiques du Ministère chinois de la Sécurité Publique a pris dès l’an 2000 un arrêté limitant la cueillette du fat choy !
Je vais donc probablement rayer le fat choy de la liste des ingrédients que je consomme…
La photo ci-dessous, qui montre le fat choy avant préparation, vient d’ici.
Si cet ingrédient controversé vous intéresse, je vous invite à consulter :
L’article en anglais consacré au fat choy sur Wikipedia, ici
L’article en chinois sur Wikipedia (ici), qui donne des informations complémentaires
Enfin, le texte de l’arrêté ministériel chinois limitant l’exploitation du fat choy est disponible ici.
facai

Cet article, publié dans Chine, Ingrédients, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

3 commentaires pour Ingrédients : Fat Choy, le légume qui dévaste les steppes mongoles

  1. Alex Gastronome Parisien dit :

    L’impact sur l’environnement a été indéniable s’agissant du Fat Choy. Mais il faut voir que tous les mets, dont les chinois sont friands, posent actuellement des problèmes. La demande croissance et rapide du fait de l’augmentation du niveau de vie amènent forcément des excès dans les productions, élevages ou pêches. Les exemples sont nombreux des ailerons de requins au Fat Choy en passant par les abalones ou encore les panopes.
    Que faut il faire ? Pointer du doigt et stigmatiser les chinois et leur refuser de manger tous ce qu’ils aiment comme cela semble être la mouvance aujourd’hui ? Tuer les différences culturelles et éradiquer toutes leurs traditions culinaires de ce pays ?
    Les problèmes et dérives de production que connaissent les chinois sont les mêmes que ceux que les occidentaux ont connu en leur temps et encore aujourd’hui. Ils seront les mêmes quand L’Inde ou l’Afrique auront le même niveau de demande.
    Il est indispensable de régler tous ces problèmes pour tendre vers une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement en changeant les techniques, en limitant les production, etc. En revanche, je trouve anormal que l’on puisse considérer que, parce qu’il s’agit de produits consommés par des chinois, l’arrêt de la consommation d’un produit est la solution envisagée de fait. Il y a dans ce raisonnement occidental une forme de totalitarisme culturelle assez effrayant. En plus, à mon humble avis, ça a l’effet inverse car au contraire les chinois vont revendiquer encore davantage leurs traditions culinaires.
    Qu’en penses tu Pascal de ta fenêtre d’expat’ de longue date ?

    • pascalkh dit :

      Cher Alex,
      Je suis 100% d’accord avec toi quand tu dis qu’il ne faut pas stigmatiser les Chinois parce qu’ils veulent profiter aussi de leur relative nouvelle aisance, si durement acquise. Quand je dis que je vais réfléchir à deux fois avant de remanger du fat choy, c’est un choix personnel, et je n’interdis à personne de manger du fat choy, ni des ailerons de requin, ni des abalones (dont d’ailleurs je rafole), tout comme je n’interdis à personne en Occident de manger des cuisses de grenouilles ou du foies gras (dont je rafole aussi, soit dit en passant). Mon but n’était absolument pas de critiquer la consommation du fat choy par les Chinois.
      Et oui, il y aurait bien des choses à dire sur la façon que les Occidentaux ont de consommer. Avec nos 30% de denrées alimentaires qui finissent à la poubelle, par exemple, il n’y a pas lieu d’être fier. Mais bon, ce blog a pour sujet la bouffe asiatique, alors je ne vais pas trop insisiter sur l’effet de la production intensive de viande bovine. (Je me souviens à ce propos des excès très justement dénoncés dans un bouquin intitulé Fast Food Nation, qui avait fait grand bruit il y quelques années.
      Et je suis aussi d’accord avec toi sur le fait qu’il ne faut surtout pas priver les Chinois de leurs traditions culinaires, et je comprends tout à fait qu’ils les revendiquent. Je trouve déjà que les McDo et autres KFC sont bien trop nombreux en Chine !
      En fait, je suis d’accord avec toi aussi sur l’idée qu’il faut chercher à promouvoir une agriculture capable d’alimenter l’ensemble de la planète et en même temps respectueuse de l’environnement.
      En fait, je suis d’accord avec toi sur tous les points que tu évoques 🙂
      Bien amicalement,
      Pascal

      • Alex Gastronome Parisien dit :

        Qu’il n’y ait pas méprise, je n’insinuais pas du tout que tu critiquais la consommation de fat choy. Moi même je n’en mange pas beaucoup. Je profitais simplement de ton article pour lancer ce débat auprès de tes lecteurs et solliciter ton avis de l’intérieur en tant que sinophile émérite.

        Je trouve d’ailleurs génial que ton blog existe pour expliquer en français et donc aux français ce qu’est la gastronomie asiatique. Il y a une telle méconnaissance en France sur ces sujets. C’est d’ailleurs cette profonde inculture qui créé le ciment de tous les amalgames qu’on entend. Il n’y a qu’à voir la masse d’absurdités qu’on pouvait lire à l’occasion du nouvel an chinois dans des journaux, sites ou magasins pourtant sérieux.

Laisser un commentaire