Pour le plaisir : Soupe aigre à la vietnamienne (សម្លម្ជូរយួន)

Au Cambodge, il existe plusieurs types de plats qui pourraient être considérés, du point de vue de la cuisine française, comme des « soupes » : les ស្ងោរ [sngao], dans lesquels des aliments sont cuits dans de l’eau ou dans du bouillon clair, les ស៊ុប [sŭp] (le khmer a adopté le mot français « soupe »), mot qui désigne des soupes cuites à l’eau avec divers aromates, et enfin les សម្ល [sâ̆m-lâ], parfois orthographié សំឡ, terme que je traduis volontiers par « soupe épaisse » car ces aliments liquides se caractérisent par leur « épaisseur » (épaisseur qui est conférée non pas par l’apport d’une matière épaississante (p.ex. fécule), mais par une grande quantité d’ingrédients). Les « sâmlâ » sont considérées comme étant typiquement khmères.
Il existe une variété presque infinie de ces soupes épaisses ; parmi elles se distingue un style qui est l’essence même de la gastronomie cambodgienne : la soupe épaisse aigre សម្លម្ជូរ [sâ̆m-lâ mchu], souvent abrégé en khmer en ម្ជូរ [mchu] (ce dernier terme qui désigne à l’origine tout ingrédient ayant une saveur aigre). En français, j’abrège le nom de ce type de soupes en « soupe aigre ».
La variété des soupes aigres est grande, et les ingrédients apportant l’acidité, les légumes, les épices ou mélanges d’épices, les ingrédients protéiques sont très divers. Parmi les soupes aigres les plus connues et les plus courantes au Cambodge, on trouve la « soupe aigre à la vietnamienne » សម្លម្ជូរយួន [sâ̆mlâ mchu yuon], souvent abrégé en ម្ជូរយួន [mchu yuon] (rappelons que le mot khmer យួន [yuon], aujourd’hui considéré comme dépréciatif, désigne tout ce qui est vietnamien). Cette soupe se trouve souvent sur les tables des restaurants populaires, ou dans les cuisines familiales.
Les ingrédients les plus directement visibles de la soupe aigre à la vietnamienne sont : du poisson détaillé en morceaux, des tomates débitées en quartiers, de l’ananas coupé en dés et de l’œuf (en général de canne, mais rien n’empêche de choisir de l’œuf de poule). Le poisson est souvent du poisson « râ̆s » (រ៉ស់, tête de serpent strié, Channa striata), mais d’autres poissons sont parfois utilisés ; la tomate est toujours rouge (par opposition à la tomate verte qui fait souvent office de garniture au Cambodge) ; il n’y a pas d’exigence particulière pour l’ananas (ម្នាស់ [mnoăs]), mais on utilise le plus souvent de gros ananas, moins sucrés que leurs petits cousins, appelés « ananas miel » (ម្នាស់ទឹកឃ្មុំ [mnoăs tœ̆k-khmŭm]), ces derniers étant consommés frais en guise de friandise. L’œuf est cassé puis versé directement dans le bouillon chaud, où il est immédiatement délayé. En plus de ces quatre ingrédients de base, on intègre à la recette de cette soupe divers légumes, épices et condiments.
Les légumes employés sont variables : bâtonnets de courge cireuse ត្រឡាច [trâ-lach] (Benincasia hispida), pédoncules de fleurs de lotus ក្រអៅឈូក [krâ-au chhuk], voire simplement bâtonnets de concombre ត្រសក់ [trâ-sâ̆k].
Le principal condiment est de la « sauce de poisson » ទឹកត្រី [tœ̆k-trei], nom sous lequel les Khmers désignent ce qui est connu en France sous son nom vietnamien : le « nuoc mam » (en vietnamien nước mắm). La saveur salée apportée par la sauce de poisson est contrebalancée par un peu de sucre. La sauce de poisson est parfois remplacée par du sel.
Enfin, pour ce qui est des épices, on trouvera dans cette soupe de l’ail ខ្ទឹមស [khtœ̆m sâ], haché et frit, ainsi qu’un ensemble d’épices couramment qualifié « d’épices pour la soupe aigre vietnamienne » (ជីរសម្លម្ជូរយួន [chi sâ̆m-lâ mchu yuon]) et comportant du basilic (ជីរនាងវង [chi néang-vông]), du panicaut fétide ជីររណារ [chi rô-na] (Eryngium fœtidum, connu aussi sous le nom de « coriandre vietnamienne »), de la ciboulette ស្លឹកខ្ទឹម [slœ̆k khtœ̆m] et enfin de l’herbe à paddy ម្អម [m’âm] (Limnophilia aromatica). Le tamarin អំពិល [â̆mpĭl] est le plus courant des ingrédients acides employés dans cette soupe.
La soupe aigre à la vietnamienne est souvent présente sur notre table. Son liquide vient fréquemment imbiber notre riz blanc. Ci-dessous, le bol de soupe qui nous fut servi le 15 décembre 2017 :

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