Littérature et gastronomie : Le dîner d’un mourant, et sa dernière volonté (Nguyên Huy Thiêp)

À l’épisode précédent de cette série (voir ici), nous avions vu, dans le nouvelle La Dernière Goutte de sang de l’auteur vietnamien Nguyên Huy Thiêp, comment M. Gia, honorable boucher, s’était enquis auprès d’un vénérable lettré du genre de littérature que devait apprendre son petit-fils, dont il désirait qu’il devînt mandarin.
Un peu plus tôt dans la même nouvelle, on voit que c’est pour réaliser la dernière volonté de son père, M. Liên, que M. Gia avait confié son petit-fils aux bons soins du maître confucéen. Voici le récit :
« Lorsque (M. Liên) tomba gravement malade, son fils aîné, Phạm Ngọc Gia, boucher de son état, ne quitta pas son chevet pendant tout un mois : il en avait les yeux caves et la barbe en broussaille. Près du lit de M. Liên, il y avait en permanence et à profusion des bananes, des oranges, de la viande et du pâté.
M. Gia demanda à son père : « Y a-t-il un plat qui vous ferait particulièrement plaisir ?
– J’ai simplement envie de liserons d’eau bouillis avec de la saumure de soja et des aubergines salées, » dit le malade.
M. Gia fit cuire du riz parfumé dans une marmite de terre, prépara une soupe aux feuilles de tamarin, fit bouillir les liserons d’eau accompagnés d’un bol de saumure de soja Bần(1), disposa le tout dans un plat et porta lui-même ce frugal repas à son père. Hélas, M. Liên ne peut avaler qu’une cuillerée de soupe. M. Gia ne put retenir ses sanglots.
« Ce n’est pas de nourriture, dit M. Liên, mais de Lettres dont nous avons besoins ! »
Après ces paroles, il poussa son dernier soupir. Il était alors dix heures, l’heure du serpent, le 24 décembre de l’année Canh Tý (1840. »
(La traduction citée ci-dessus est due à Kim Lefèvre. Elle se trouve dans le recueil Un Général à la retraite publié par les éditions de L’Aube en 2015, ISBN : 978-2-8159-1123-8.)
(1) La traductrice indique en note que Bẩn est une marque de sauce de soja fameuse, mais je n’ai trouvé aucune information sur ce sujet.

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