Pour le plaisir (80) : Soupe aigre aux crabes de rizière (សម្លម្ជូរក្ដាមស្រែ)

J’interromps provisoirement mes déambulations macano-hongkongaises (ou hongkongo-macanaises, c’est comme vous préférez), pour parler d’un mets cambodgien de choix que l’on ne trouve qu’en cette époque de début de la saison des pluies. Je veux parler de la « soupe aigres aux crabes de rizière » (សម្លម្ជូរក្ដាមស្រែ). Il s’agit de l’un des très nombreux membres de la grande famille cambodgienne des soupes aigres (សម្លម្ជូរ), réalisée, comme son nom l’indique, avec un petit crustacé d’eau douce, appelé tout simplement en khmer « crabe de rizière » (ក្ដាមស្រែ). Je ne connais son nom savant, mais je vous propose d’ores et déjà de voir la bête telle que me l’a ramenée, en de multiples exemplaires, notre talentueuse cuisinière :
La photo ne permet pas de très bien se rendre compte de la taille de l’animal, alors permettez-moi d’être un peu disert : il s’agit d’un petit crabe dont la carapace dorsale doit mesurer dans les quatre à cinq centimètres en long et en large. La carapace est fine, si bien qu’il m’est arrivé de dévorer une version grillée du monstre sans perdre de temps de la dépecer, en croquant tout simplement la carapace sous mes dents. Mais si cette perspective ne vous enchante pas, n’ayez aucune crainte : dans le mets dont je vous parle aujourd’hui, pas le moindre petit morceau de carapace ne risque de se coincer entre vos délicates dents, et voici pourquoi :
Le crustacé n’est pas mis à cuire directement dans le bouillon de la soupe, mais il est consciencieusement pilonné (au sens propre du terme : dans un mortier avec un pilon), puis filtré, de façon à n’en recueillir que le jus et les chairs. Et ce sont ceux-ci qui sont incorporés au bouillon.
Le bouillon lui-même est parfumé de quelques tranches d’un poisson appelé en khmer « phtuk » (que j’ai pas réussi à identifier), et des œufs dudit poisson. La partie végétale de la soupe peut être constituée de morceaux de luffa, fines tranches de papaye verte, voire de « m’âm » (une herbe aromatique, dont le nom latin est Limnophilia conferta).
C’est une soupe qui doit se consommer dès qu’elle est sortie du feu : le jus de crabe de rizière n’est pas propice à la conservation, et de plus, la soupe perd rapidement de son aigreur (c’est l’affaire de quelques minutes).
Mais laissons-là le discours futile, je vous invite derechef à entr’apercevoir l’aspect du liquide dont je me suis régalé pas plus tard que ce midi (21 mai 2012) (notez au passage que la pince de crabe n’est utilisée ici qu’à titre décoratif, pour donner une indication quant au principal ingrédient utilisé) :
J’ai gardé le plus beau pour la fin : ma gentille cuisinière m’a préparé un petit amuse-bouche qui a été le couronnement de ce repas : elle a prélevé dans la carapace des crabes le peu de gonades qu’elles contenaient, me les a mises dans deux petites carapaces laissées intactes, qu’elle a ensuite faites griller. La photo ci-dessous ne permet malheureusement pas de voir beaucoup, mais j’espère que vous me croirez sur parole si je vous dis que j’ai fait passer ma petite cuillère dans les moindres recoins des carapaces pour ne pas perdre la moindre particule de la précieuse pâte. Si Rabelais avec voyagé au Cambodge au début de la saison des pluies, je suis persuadé qu’il aurait renoncé à son éloge de la substantifique moelle pour tenter de décrire le plaisir incommensurable que procure la dégustation de cet extrait de crabe de rizière khmer !

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5 commentaires pour Pour le plaisir (80) : Soupe aigre aux crabes de rizière (សម្លម្ជូរក្ដាមស្រែ)

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  2. cette soupe me rappelle beaucoup une recette vietnamienne du nord et qui est assez populaire… peut-être connais-tu le bun rieu cua où l’on pillonne à fond des crabes de rizière pour en faire un bouillon où surnagent le corail et la chair des crustacés avec de la tomate, du tofu frit , du vermicelle de riz, assaisonné par de la sauce de poisson, de la pâte de crevettes et colorée par de l’huile de rocou avec bien sûr plein d’herbes et de crudités… J’en parlerais vendredi.

    • pascalkh dit :

      Non, je ne connais pas cette soupe vietnamienne, mais le principe de pilonnage des crabes de rizière me semble identique.
      Le mois dernier, nous sommes allés passer quelques jours à Nha Trang, et je me souviens d’une bouille de riz aux fruits de mer et aux gonades d’oursin qui était carrément babylonienne. Je suis prêt à retourner à Nha Trang rien que pour cette bouillie de riz !

  3. christiane dit :

    MERCI mon AMI
    Grâce à toi, je vais plus au fond des . C’est un enchantement. Je ne sais si tu te souviendras de moi car nous avons déjà échanger des propos forts intéressants.

  4. christiane dit :

    PROBLEMES de messagerie
    Je me souviens de t’avoir conseillé de r les recettes de ta talentueuse cuisinière, car le temps passe vite et ensuite l’on se mord les doigts. Le destin est parfois cruel( j’en sais quelque chose), donc je me permets de conseiller autour de moi:::profiter(je n’ai pas dit dilapider), de ce que le présent vous offre.Donc pour toi, adule ta cuisinière et écrits un livre.
    Bien amicalement à toi Chris

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