Viande exotique au dîner du Club des Explorateurs

Dans les annales de la gastronomie exotique, un dîner est resté célèbre : l’édition 1951 du dîner annuel de l’Explorers Club (Club des Explorateurs).
Les dîners annuels de ce club sont connus pour proposer aux convives les plats les plus rares et les plus inattendus. Ainsi, par exemple, à l’occasion du dîner servi en mars 2012, étaient au menu un « coq au vin » à la viande d’autruche, de la viande d’alligator, des gâteaux à la viande de tortue, des steaks hachés de python, des yeux de chèvre, ou encore des cafards de Madagascar, entre autres (plus de détails ici).
Mais l’édition de 1951 est tout de même restée dans les mémoires de tous comme un dîner tout à fait exceptionnel, puis qu’il y fut servi, dit la légende, de la viande de l’une des espèces (laquelle précisément, cela ne fut pas précisé) du genre Mammuthus, i.e. de la viande de mammouth !
En réalité, la viande mentionnée sur le menu qui fut publié ultérieurement dans une revue américaine, n’était pas de la viande de Mammuthus, mais de la viande de Megatherium, ancêtre du Pléistocène de l’espèce plus communément connue sous le nom de paresseux. C’est un manque de rigueur dans la rédaction du texte oublié dans The Monitor, qui parlait de viande de mammouth, qui est la source du quiproquo.
Il peut sembler hasardeux de vouloir goûter de la viande fossilisée, car cette viande, même si elle est retrouvée congelée (comme celle des mammouths régulièrement découverts dans le pergélisol sibérien), il est possible que la viande ait été pourrie au moment de sa congélation. On peut cependant parier que certains paléontologues prêts à tout pour faire avancer la science ne résistent pas à la tentation de goûter à la chair d’animaux préhistoriques.
L’organisateur du dîner de 1951 était un dénommé Wendell Phillips Dodge, imprésario de son état. Fort heureusement pour la science, Dodge prit le soin de faire parvenir à un membre du club qui n’avait pas pu assister au dîner, Paul Griswold Howes, un échantillon de la viande de Megatherium servi à ce dîner. Howes se donna la peine de placer cet échantillon dans un bocal d’alcool pour le conserver. Ce bocal échoua en 2001 au muséum d’histoire naturelle Peabody de l’université de Yale, et devint un objet de curiosité pendant de nombreuses années pour les étudiants et enseignants du lieu.
Finalement, Matt Davis, étudiant de l’université de Yale spécialiste de l’écologie de l’âge de glace, discuta de l’échantillon avec Eric Sargis, chargé d’un cours de mammologie. Ils décidèrent de s’intéresser de près aux mystérieux reliefs, et se firent aider par une autre étudiante, Jessica R. Glass, qui se chargea de l’analyse de l’ADN.
Bien sûr, l’analyse d’une viande vieille de plusieurs milliers d’années et, de surcroît, cuite, n’était pas chose aisée, et toutes les précautions furent prises pour faire face aux défis exceptionnels à relever pour cette étude.
Au final, les chercheurs furent obligés de constater que ladite viande n’était ni du mammouth, ni du paresseux, qu’elle ne datait de plusieurs milliers d’années, et qu’il ne s’agissait même pas d’une viande de mammifère. Tout le monde avait été dupé dans cette affaire, puisque les dîneurs de 1951 n’avaient finalement dégusté que de la « banale » chair de tortue marine !
Cette analyse de la viande servie au dîner de l’Explorers Club en 1951 est relatée dans un article (en anglais) du New York Times, disponible ici.
El lisant cet article, j’ai repensé à une expression populaire utilisée pour décrire le fait que les Chinois de la région de Canton mangent tout ce qui passe à leur portée : « On mange tout ce qui a quatre pattes, sauf les tables, et tout ce qui vole, sauf les avions. »
Ci-dessous, la photo d’un mammouth laineux vieux de 39.000 ans découvert congelé en Sibérie. La photo vient du site du Mirror (voir ici) :
mammouth siberien

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