Banquet champêtre dans la banlieue de Suzhou, Chine

Parmi les traditions chinoises liées à la famille, il en est une dont nous n’avons, me semble-t-il, pas l’équivalent en France. Il s’agit ce que les Chinois appellent le « mois complet » (满月 [mǎnyuè]), qui se célèbre un mois après la naissance d’un enfant. Il existe des variantes à cette tradition. Dans ma région d’adoption, celle de Suzhou, par exemple, on célèbre plutôt le « double mois complet » (双满月 [shuāngmǎnyuè]), c’est-à-dire le soixantième jour suivant la naissance d’un enfant.
À cette occasion, la famille organise un banquet grandiose, qui se tient le plus souvent dans un restaurant en ville. On invite les membres de la famille, proche ou éloignée, bien sûr, mais aussi les amis et les collègues de travail. On compte le nombre de convives en « tables » (une table ronde accueille en général dix personnes) ; et le nombre de tables varie en fonction du statut social de la famille, du degré d’importance qu’elle attache aux apparences, et de la somme qu’elle est prête à « investir » dans le festin (c’est à dessein que j’utilise le mot « investir », je m’en explique ci-dessous).
L’une de mes collaboratrices ayant récemment accouché d’un fils, elle a profité de ma présence opportune en Chine, pour me convier aux festivités du « double mois complet ». Ladite collaboratrice étant d’origine paysanne, c’est dans la maison familiale, située dans un village de la banlieue de Suzhou, qu’a été organisé le banquet, plutôt que dans un restaurant de la ville.
Cela a été l’occasion pour moi de découvrir une pratique dont j’ignorais l’existence. Contrairement à ce que j’aurais imaginé, ce ne sont pas les membres de la famille qui se chargent de la préparation des repas : mais on fait appel à une équipe de cuisiniers professionnels.
Cette pratique, dont on m’a dit qu’elle était en réalité assez répandue dans les campagnes chinoises, consiste à faire appel à une équipe de « traiteurs » qui, en fonction de la saison et du budget mis à leur disposition, concoctent le menu d’un banquet qui sera de nature à faire honneur aux convives, et à rendre fiers les amphitryons.
Ces traiteurs, en équipe de deux ou trois, sont le plus souvent des cuisiniers qui ont débuté leur carrière dans la restauration classique. Après quelques années de salariat, ils ont choisi de prendre leur indépendance, en proposant leurs services itinérants dans les campagnes chinoises, à l’occasion des naissances, mariages, décès et autres évènements marquants.
banquet_champetre (2)Ces traiteurs se déplacent avec tout le matériel idoine, batterie de cuisine bien sûr (couteaux, louches et planches à découper, mais aussi woks géants, cuisinières sur pieds, grand cylindres à étages destinés aux cuissons à la vapeur, étuves sur roulettes, etc.), mais ils fournissent également la vaisselle indispensable (assiettes, plats de service, verres, tasses, bols et baguettes)…
banquet_champetre (4)Deux pratiques sont courantes : les traiteurs proposent, en fonction de la saison, du budget et du nombre de convives, un menu qui se composera au moins d’une douzaine de plats, et se chargent également de l’achat de la matière première. L’unité de facturation est dans ce cas la « table » (le prix actuel se situe aux alentours de 1800 yuans, un peu moins de 220 euros environ). L’autre pratique, qui peut, si la famille excelle dans l’art de la négociation, être plus économique, consiste à n’avoir recours qu’à l’expertise culinaire et au matériel des traiteurs. La famille devra alors acquérir les viandes, poissons, volailles, légumes, ainsi que tous les condiments et toutes les épices, nécessaires à la préparation du repas. Cette seconde façon de faire semble moins courante, et je n’ai pas réussi à obtenir d’informations sur le coût unitaire.
Mais quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’inquiétude à avoir quant au budget familial : l’habitude veut en effet que chacun arrive au repas muni d’une enveloppe rouge garnie d’une somme plus ou moins rondelette (déterminée en fonction du degré de parenté, du degré d’intimité avec les parents, du statut social, etc.), mais en tout cas pas inférieure au coût habituel de ce genre de repas. (Après mûres réflexions et consultation de divers avis autorisés, l’employeur que je suis s’est fendu à cette occasion d’une enveloppe contenant l’équivalent d’une centaine de nos euros.) Cette enveloppe est remise aux parents de l’enfant, et si, en théorie, la somme réunie doit servir à constituer la layette du nouveau-né, elle sert d’abord et avant tout à régler la note du traiteur. Comme pour les mariages, ces banquets ne coûtent rien à ceux qui régalent (sauf s’ils ont surestimé le nombre d’invités faisant effectivement le déplacement), et sont même parfois l’occasion de réaliser un joli « bénéfice » (les mauvaises langues disent même que certains organisent ce genre de banquets dans le but de rassembler des fonds).
La cuisine proposée lors de ces banquets campagnards est avant tout une cuisine populaire et abondante. Il importe surtout que les convives soient rassasiés, et il est de bon ton de faire en sorte que la quantité des mets proposée soit telle qu’il n’est pas envisageable que tout soit consommé. Le surplus n’est bien entendu pas gaspillé : la famille distribuera les reliefs du repas aux voisins, et continuera de se nourrir de ces reliefs pendant les jours qui suivent.
La cuisine préparée est aussi fortement teintée de couleur locale, et doit être festive : les convives étant des gens du cru, attachés à leurs traditions et à leurs habitudes alimentaires, et peu habitués aux fantaisies gastronomiques de la ville, il importe que les mets soient extraits du recueil des recettes locales : il faut faire plaisir aux invités, et ne pas risquer de les surprendre désagréablement en leur proposant des plats trop « exotiques ». Il faut aussi, bien entendu, que les plats proposés sortent de l’ordinaire et aient belle allure ! Il est hors de question de risquer de porter atteinte à la bonne réputation de la famille en offrant un banquet mal préparé, pas assez abondant, ou proposant des mets que l’on mange tous les jours ! (J’ai ainsi pu par exemple découvrir un sauté de gésiers de cailles aux pousses de bambous et shiitake, dont j’aurai l’occasion de parler plus en détails.)
Muni de ces informations, si l’occasion vous en est donnée, je vous convie donc à accepter toute invitation à ce type de banquet champêtre, qui vous fera approcher de près la cuisine et les traditions familiales chinoises.

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Un commentaire pour Banquet champêtre dans la banlieue de Suzhou, Chine

  1. zika dit :

    Bonjour, et bien , j’ai appris quelque chose aujourd’hui, j’aime bien connaître les us et coutumes des peuples, çà me fait penser aux contes de mon enfance, merci pour ce petit moment bien agréable!

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