Dans son ouvrage À la table de l’empereur de Chine, William Chan Tat Chuen cite le nom d’un cuisinier de Suzhou qui avait été remarqué par l’empereur Qianlong lorsque ce dernier avait séjourné dans la Venise chinoise, et avait été tellement charmé par les mets du maître-queux qu’il l’avait emmené avec lui à la capitale pour officier dans les cuisines impériales. Chan Tat Chuen explique que ce cuisinier s’appelait Zhang Anguan. Je ne trouve pas trace d’un Zhang Anguan dans mes sources chinoises, en revanche, il y eut bien un Zhang Dongguan (张东官 [zhāng dōngguān]) qui connut ce même destin.
Zhang Dongguan était cuisinier de Jin Fu, mandarin chargé de la fabrication, à Suzhou, des soieries destinées à l’usage de la cour impériale. Lorsque l’empereur Qianlong, pendant la 30ème année de son règne (1765) fit l’un de ses six voyages d’inspection à Suzhou, il fut convié à dîner chez Jin Fu. Subjugué par le talent hors pair du cuisinier de la maison, il demanda à le prendre avec lui pour le ramener à la capitale et le voir officier dans les cuisines impériales (御膳房 [yùshànfáng]).
Dans les annales impériales des Qing sont consignés les plus infimes détails de la vie quotidienne des empereurs, et notamment la composition des menus de tous les jours, ainsi que les noms des cuisiniers ayant préparé chaque fois. Le nom de Zhang Dongguan apparaît avec une fréquence assez exceptionnelle dans les menus de Qianlong. Lorsque l’empereur se déplaçait dans sa résidence d’été, c’était le même Zhang Dongguan qui était responsable des repas impériaux. La cuisine de Suzhou était alors une cuisine appréciée à la cour mandchoue.
Zhang Dongguan resta près de vingt ans au service de l’empereur Qianlong. À l’occasion du dernier voyage que Qianlong fit à Suzhou, l’empereur consentit enfin à se séparer de son maître-queux, alors âgé de 71 ans, et le ramena dans sa ville natale où il coula des jours heureux.
Pour l’anecdote, notons que l’on peut lire le nom de Zhang Anguan (张安官 [zhāng ānguān]) donné par William Chan Tat Chuen à un cuisinier de Suzhou… dans un roman de cape et d’épée fameux du maître du genre, Jinyong : Le Livre et l’Épée (《书剑恩仇录》).
Zhang Dongguan est aussi le nom de l’un des personnages principaux de la série télévisée en trente épisodes intitulée Le grand Banquet han et mandchou (《满汉全席》 [mǎnhàn quánxí]) sortie en Chine en 2005. La série prend de sérieuses libertés avec la réalité historique, puisque dans cette série, Zhang Dongguan (joué par l’acteur Xu Zheng 徐峥 [xú zhēng]) est un cuisinier médiocre qui, à la suite d’aventures rocambolesques, se retrouve dans les cuisines impériales au service de l’empereur Kangxi (康熙 [kāngxī], r. 1662-1722).
Ci-dessous, le cuisinier Zhang Dongguan joué par Xu Zheng (la photo vient de l’article que Baidu consacre à la série télévisée, ici).
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Bonjour. Je fais une petite apparté à propos de votre article sur la nourriture aphrodisiaque.
Il m’a toujours paru étonnant que l’on place la corne de rhinocéros comme aphrodisiaque. C’est le produit pricipal en pharmacopée chinoise pour clarifier la chaleur et rafraîchir le sang, tout l’inverse du poivre ou du gingembre. La corne de rhinocéros Xi Jiao, reduite en poudre fine à près avoir été préparée en plaques, a un tempérament froid, une saveur amère, les caractéristiques chinoises des produits rafraichissant. On l’utilise en posologie de 1,5 à 6 g dans les cas infectieux où la chaleur et les toxines pénétrant dans le sang entrainent des hémorragies. des exanthèmes ou du délire. Bien sûr aujourd’hui, on la remplace par la corne du buffle d’eau Shui Niu Jiao en plus haute dose, de 6 à 60g, ou une racine de lithospermum ZI Cao, elle aussi de tendance rafraîchissante. L’importance de la corne de rhinocéros me semble surtout dûe à son action pour soigner des maladies à leur stade extrême dans un temps où la péniciline et autres sauveteurs modernes n’existaient pas.