C’est avec avidité que je me suis lancé aujourd’hui dans la lecture du livre de William Chan Tat Chuen intitulé A la table de l’empereur de Chine, publié en 2007 par les éditions Philippe Picquier.
Tout se passait pour le mieux, jusqu’au moment fatidique où je lis : « L’habitude prise à cette époque de manger des tomates crues avec une bonne pincée de sucre a persisté jusqu’à aujourd’hui. »… (page 19 de mon édition)
Quoi de choquant, vous demanderez-vous peut-être ? Oui, il est bien vrai que certains Chinois ont l’habitude de déguster les tomates avec du sucre.
La grosse, l’énorme, l’incroyable, l’impardonnable bévue est que l’époque dont parle l’auteur, qui est aussi celle, d’après lui, à laquelle les Chinois ont maîtrisé le raffinage du sucre de canne, est l’époque de la dynastie des Tang, qui gouverna la Chine entre l’an 618 et l’an 907 de l’ère commune !
Or, quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de l’alimentation sait parfaitement que la tomate est originaire d’Amérique du Sud, et n’a pu quitter ce continent pour se diffuser dans le reste du monde qu’après 1492 ! Certains Chinois prétendent certes que c’est l’un des subordonnés de l’eunuque navigateur Zheng He qui a découvert l’Amérique 80 ans avant Christophe Colomb, mais même si l’on accepte cette théorie pour le moins saugrenue, comment croire que les tomates soient arrivées sur les tables chinoises cinq siècles avant ladite découverte ?
L’origine étrangère de la tomate est d’ailleurs attestée par les deux noms sous lesquels ce fruit est généralement connu en Chine : 番茄 [fānqié], littéralement « aubergine étrangère », et 西红柿 [xīhóngshì], qui signifie « kaki rouge de l’Ouest ».
L’auteur parle encore de « l’oignon émincé » qui aurait agrémenté les plats carnés des empereurs de Chine de la dynastie des Zhou (du XIº au IIIº siècles avant notre ère) ! Alors là aussi, il y a un petit problème de chronologie… L’opinion qui prévaut est qu’Allium cepa (d’ailleurs appelé en chinois 洋葱 [yángcōng], la « ciboule d’Occident ») n’a été introduit en Chine que vers le XVIIIº siècle ! L’écart temporel est encore plus impressionnant !
Monsieur Chan Tat Chuen est bien étourdi… Mais n’y a-t-il pas de relecteurs sérieux chez Picquier ? Depuis 2007, aucun lecteur n’a-t-il signalé ces aberrations ? Ne serait-il pas utile de les corriger dans une prochaine édition ?
En tout cas, cela augure bien mal de la qualité de ce bouquin…
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J’adore ! 🙂
Ce n’est, hélas, pas le seul auteur de livres de vulgarisation qui se veulent cependant de recherche à faire de telles erreurs. Par exemple, dans La vie quotidienne dans la péninsule indochinoise à l’époque d’Angkor (800-1300), de Louis Frédéric publié par Hachette en 1981, on lit (p. 226) : « Comme aujourd’hui, la culture de base étant presque partout, sauf dans les montagnes, le riz, celui-ci étant consommé en assez grande quantité et le reste ne faisait qu’améliorer l’ordinaire. La nourriture d’appoint était constituée par des poissons frais, secs, en pâtés, et par les légumes cultivés sur les chamkars ou au bord des rivières : salades, concombres, haricots, pousses de bambou, aubergines, menthe, rhyzomes de lotus, etc., ainsi que les fruits, citrons, mangues, papayes, cocos, bananes, pastèques, ananas, jacquiers et les produits de la forêt, miel et sucs divers. »
Toujours à la même page : « Des sortes de pâtes de riz étaient aussi probablemement utilisées, probablement sur le modèle chinois, mélangées à de l’ail et du piment vert pour l’aissaisonnement des langues. »
Outre le fait que d’après cet auteur, le riz ne serait pas ou guère consommé dans les montagnes, le nombre d’anachronismes concernant les plantes est très gênant.
Monsieur. Il est toujours constructif d’avoir des lecteurs experts comme vous. Je vous en remercie. Sur ma phrase sur la tomate, il s’agit en effet d’une mauvaise formulation de ma pensée. Je voulais mettre en avant le principe d’assaisonnement des crudités avec le sucre héritée des Tang, appliqué ensuite aussi sur la tomate à son arrivée en Chine, et qui persiste jusqu’à nos jours.
Sur « l’oignon », dans « Food in chinese culture » de KC Chang, édition 1977 l’un des livres de référence qui a servi à mon travail à l’époque, il est évoqué dans le chapitre sur la Chine ancienne. Exemple page 37 « The meat cooked on the bones is set on the left, and the slice meat on the right ; the (grain) is place on the left of the (person), and the soup on (his) right ; the minced and roasted meat are put outside (the chops and slice meat) and the pickles and sauces inside; the onions and steamed onions succeed to these, and the drink and syrups are on the right. When slices of dried and spiced meat are put down, where they are folded is turned to the left, and the ends of them to the right (Ch’ü Lui” Li Chi, trans. Legge 1885, p79). Le livre parle « d’onions ». L’oignon a-t-il été mal traduit ? S’agit-il plutôt de ciboule, spring onion (allium fistulosum) ?
Mon travail sur ce livre date de plus de dix ans avec les sources de l’époque, avec ses imperfections. Sachez qu’une relecture sera faite si nouvelle édition il y a, avec les corrections nécessaires.
Cher Monsieur,
Avant toute chose, je vous remercie de bien avoir voulu prendre le temps de répondre à ce billet.
J’ai continué à lire votre ouvrage (j’en suis environ aux deux tiers), et, finalement, je le trouve assez intéressant. J’ai en tout cas appris pas mal des choses.
Pour ce qui est de l’oignon, d’après les sources consultées, l’introduction d’Allium cepa par des Européens dans la région de Canton à la fin du XVIIe ou au début du XIIIe siècle est mentionnée dans un ouvrage intitulé Notes éparses sur le Ling’nan (《岭南杂记》) de Wu Zhenfang (吴震方). En anglais, le mot « onion » est parfois un terme qui désigne les alliacées. Peut-être est-ce la raison pour laquelle K.C. Chang utilise ce mot dans son ouvrage ? Peut-être cette mention s’explique-t-elle aussi par le fait que la langue maternelle du professeur Chang n’était pas l’anglais ?
Dans votre ouvrage, j’ai remarqué également un certain nombre d’erreurs sur la transcription phonétique du chinois. Par exemple, vous parlez de « chi xui » pour la veillée du nouvel an ; je suppose que vous voulez dire « chuxi » (除夕) ; vous parlez de « lijijiu » pour le vin de litchi, je suppose qu’il faut lire « lizhijiu » (荔枝酒 – le caractère 枝, se prononce « zhi » en mandarin, la prononciation proche de « ji » est une prononciation cantonaise).
D’autres choses ont attiré mon attention. Vous parlez de « lèvres de singe », qui est la traduction littérale du mot 猩唇 ; il n’aurait peut-être pas été inutile de préciser que, à l’époque des Qing au moins, on appelait « lèvres de singe » un mets préparé à partir de joues de cerf séchées.
Vous citez également le nom de Zhang Anguan, cuisinier de Suzhou amené à Pékin par Qianlong. Je connais plutôt le nom de Zhang Dongguan (张东官) (voir par exemple sur Wikipedia ou sur Baidu – http://baike.baidu.com/item/%E5%BC%A0%E4%B8%9C%E5%AE%98). En revanche, Zhang Anguan est le nom du cuisinier de Suzhou qui officie dans les cuisines impériales de Qianlong dans le roman Shujian enchoulu (《书剑恩仇录》) de Jinyong (金庸) (voir ici : http://www.jinyongwang.com/data/2614.html). Le nom de Zhang Dongguan est confirmé par diverses sources, voir par exemple sur ce lien : http://s.wanfangdata.com.cn/Paper.aspx?q=%E5%BC%A0%E4%B8%9C%E5%AE%98&f=top
(Sur le nom réel de ce cuisinier, je ne saurais cependant être catégorique, car pour les personnages historiques mineurs, différentes sources donnent parfois des noms différents.)
A mon humble avis, si une nouvelle édition devait être publiée, une relecture minutieuse devra effectivement être faite.
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