C’est la Citadelle de Malaque (Malacca) qui est la première étape du voyage d’Alexandre de Rhodes en Asie Orientale. Après un séjour de deux ans et demi à Goa et à Salsette, le missionnaire jésuite embarque le 12 avril 1622 pour poursuivre sa route. Il arrive le 28 juillet 1622 à Malacca, et doit patienter neuf mois avant que des vents favorables ne lui permettent d’aller vers la Chine (il arrivera à Macao en mai 1623).
Il met son séjour à Malaque à profit pour étudier la flore locale, et consacre, dans ses Divers voyages et missions du P. Alexandre de Rhodes en la Chine et autres royaumes de l’Orient, un chapitre entier (le chapitre IX de la première partie) aux « Diverses sortes de fruits qui sont à Malaque et aux environs » (pp. 38 à 41 de l’édition de 1623). Voici ce chapitre, adapté par votre serviteur en français moderne :
« Encore que la Malaque ne soit qu’à deux degrés de la ligne, et que par conséquent la chaleur y soit fort grande, le séjour y est pourtant fort beau et la terre porte quantité de fruits, dont les uns sont communs à toute l’Inde, les autres ne se trouvent point hors de ce territoire, qui n’est pas grand, mais qui est néanmoins fort fertile.
Des fruits que nous avons en Europe il y en a fort peu, car ils n’ont ni pommes, ni poires, ni prunes, il y a des treilles qui portent des raisins tout le long de l’année, mais ils ne mûrissent jamais bien, et le vin qu’on en fait devient incontinent aigre. La raison paraîtra extraordinaire, mais elle est pourtant véritable et commune à toute cette zone torride, où par une merveille bien grande, les raisins ne sauraient mûrir faute de chaleur et de soleil, ce qui pourra sembler ridicule.
Mais la raison pourtant en est naturelle. Le soleil en ce pays donnant à plomb sur la terre devrait tout brûler et rendre le pays inhabitable, comme les Anciens l’ont crû, mais ils ne savaient pas le secret de la Providence, qui a voulu que ce pays fût le plus habité du monde ; parce que c’est pour lors que le soleil étant ainsi fort, attire tant d’exhalaisons et de vapeurs, que c’est pour lors l’hiver du pays ; les vents sont grands, les pluies continuelles qui empêchent les raisins de mûrir, car c’est depuis juin jusques en septembre que le soleil se tient si caché, qu’on ne le voit quasiment point. J’ai vu en notre maison une treille où il y avait toujours trois sortes de raisins, les uns en fleurs, les autres à demi mûrs, et les autres entièrement mûrs, comme ils le peuvent être en ce pays-là.
Je n’y ai point vu de nos meilleurs fruits d’Europe, mais il y en a de tant d’autres façons que me trouvant une fois en une table où l’on m’avait invité, j’en comptais onze de diverses sortes de fort excellents, que je n’avais jamais ni vus, ni entendus nommer. Il y a des forêts entières de ces belles palmes qu’on appelle cocos et qui sont tant renommées, parce qu’avec ces arbres on peut bâtir, équiper, avitailler et charger un navire, comme racontent toutes les histoires des Indes ; mais j’y trouve une chose du tout admirable que peu de gens ont remarquée. C’est que pour rendre ces arbres-là bien fertiles, il faut que les hommes habitent dessous leurs branches ; je ne sais si c’est le souffle des hommes qui leur sert, ou s’il y a quelque secrète sympathie que la nature nous a cachée.
Je ne veux rien dire des autres fruits qui se trouvent aussi bien au reste des Indes, comme à Malaque, les ananas ; les jambis gros comme des pommes, forts bons à la santé ; les mangues quasi semblables aux pêches, mais on les sale comme les olives ; les figues des Indes qui durent toute l’année, mais moins grosses que les nôtres. La carambole est grosse comme nos plus grosses prunes, la figure et la couleur sont différentes, mais le goût est quasi semblable ; les papayes sont comme des petits melons, mais ils viennent sur les arbres et sortent quasi tous ensemble.
Les plus beau de ces fruits est le durion, qui ne se trouve que dans les terres de Malaque ; il est gros comme nos plus grosses pavies, il a une coque fort dure, et dedans il est plein d’une liqueur blanche, épaisse et sucrée ; elle est entièrement semblable au blanc-manger qu’on sert aux meilleures tables de France ; c’est une chose fort saine, et des plus délicates que l’on puisse manger.
Je serais trop long si je disais toutes les autres sortes de choses que porte cette terre ; je sais bien qu’il y a peu de fleurs car le soleil y est trop chaud, et j’ai remarqué une Providence de Dieu fort particulière, en ce que à peine trouvez-vous en toute la zone torride un fruit qui ne soit couvert d’une bonne coque pour le défendre de la chaleur du soleil. »
Après neuf mois passés à Malacca, Alexandre de Rhodes s’embarque pour Macao, où il arrive le 23 mai 1623. Il restera en Chine plus de vingt ans, et fera pendant son séjour quelques missions au Tonquin et en Cochinchine.
Nous avons déjà parlé ici de la gastronomie cochinchinoise telle que la décrit Alexandre de Rhodes, et nous reparlerons encore de ce missionnaire à propos de gastronomie chinoise et du thé.
Ci-dessous, une portion de jamboses (les jambis d’Alexandre de Rhodes) blanches, achetées sur un étal de rue à Phnom Penh le 28 janvier 2014 (photo personnelle) :
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Merci encore pour ce remarquable article.
Je viens de recevoir le livre de la gastronomie cochinchinoise!
Merci encore pour ce remarquable article!
Hélas vous ne recevez aucun de mes commentaires.
Chantal Pistol.
Merci encore pour ce remarquable article.