(J’ai un peu hésité à classer ce fruit pas comme les autres parmi les ingrédients, car, à ma connaissance, il n’entre dans la composition d’aucun plat. Ce phénomène mériterait d’ailleurs presque que l’on y consacre une rubrique à part entière…)
Le durion (nom latin : Durio zibethinus), appelé aussi parfois « durian » (comme en anglais) est un fruit bien connu en Asie du Sud-Est. À son sujet, on ne rencontre en général que des avis bien tranchés : ceux qui l’aiment lui vouent un véritable culte, et ceux qui ne l’aiment pas en supportent à peine la vue, et n’en supportent pas l’odeur, et font des cauchemars à la simple évocation de la saveur. Le goût de ce fruit a pu en effet donner lieu aux descriptions les plus imagées… Par exemple, Anthony Bourdain, cuisinier américain, dit : « son goût et sa saveur ne peuvent être décrits que par le qualificatif… d’indescriptible, quelque chose que soit vous adorerez, soit vous détesterez. Votre haleine ressemblera à celle que vous auriez si vous aviez embrassé intensément votre grand-mère morte depuis des lustres. » Une autre description célèbre est celle de l’écrivain voyageur Richard Sterling, qui est encore moins tendre : « … son odeur peut être décrite comme celle des excréments de porc, de térébenthine et d’oignons, le tout garni par une vieille chaussette. » (J’ai prélevé les traductions de ces deux citations sur la page que Wikipedia consacre en français au durion, ici.)
C’est à Taïwan que j’ai pour la première fois vu, humé et dégusté du durion. C’était en septembre 1989… Appelé en chinois 榴莲 liúlián, ses amateurs l’ont sans hésitation couronné « roi des fruits » (水果之王 shuǐguǒ zhī wáng). Le durion n’est cependant pas natif de Taïwan : les fruits qu’on y trouve sont le plus souvent importés de Thaïlande. J’ai ensuite eu l’occasion d’en déguster à Singapour. J’étais à Singapour juste à la bonne saison, et les étals de fruit exhalaient tous cette odeur incomparable. J’ai ai vus encore à Paris, en Chine, et au Cambodge (en khmer, le durion est appelé « thou-renne » ធុរេន), bien sûr, mais je dois avouer que, malgré mon esprit extrêmement aventureux quand il s’agit de saveurs, je n’ai pas saisi l’occasion de rafraîchir ma mémoire gustative.
Il faut dire que le durion est très, très particulier. Il s’agit d’un gros fruit d’une trentaine de centimètres de haut en moyenne, à la peau verte ou tirant parfois vers la kaki, couverte d’innombrables piquants assez durs. Le fruit mûr tombe seul de l’arbre, et cause des blessures impressionnantes au malchanceux qui se trouve sur la course de sa chute. On parle même de décès provoqués par la chute de durions.
La peau, je dirais presque la coque, est épaisse et dure, et doit être fendue à l’aide d’un couteau de type « feuille de boucher ». Le fruit contient divers compartiments, qui eux-mêmes contiennent les graines enrobées d’une pulpe jaune intense, tirant un peu vers l’orangé. C’est cette pulpe qui se déguste.
L’odeur du fruit est effectivement assez désagréable. Au point qu’il est interdit d’amener des durions dans ses bagages lorsque l’on prend l’avion, voire simplement de ramener dans sa chambre d’hôtel un durion à consommer dans le douillet nid provisoire du touriste gourmand. L’odeur est en effet persistante et tenace !
Les durions les plus fameux viennent de Malaisie. Dans ce pays, les variétés de durions proposées à la vente sont diverses. L’une des plus célèbres et des plus coûteuses (34 ringgits malais le kilo à Kuala Lumpur le 7 novembre 2007, soit environ 7,20 euros) de ces variétés est celle appelée en chinois 猫山王 māoshānwáng, littéralement « roi de la montagne des chats ». Après m’être longuement interrogé sur la signification de ce nom, j’ai découvert sur la page que l’encyclopédie chinois en ligne Baidu consacre à cette variété (voir ici) que ce nom chinois ne serait qu’une transcription phonétique du mot malais « musang », qui sert à désigner un petit mammifère connu pour son flair et son amour du durion : la civette. Toujours d’après Baidu, la variété la plus fameuse est celle que l’on appelle 金凤 jīnfèng, « phœnix d’or », mais je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion d’en déguster. (Un prétexte de plus pour revenir en Malaisie, s’il en fallait un.)
J’ai entendu parler également d’une version frite de la pulpe du durion, ainsi que de graines de durion grillées, mais je n’ai jamais eu l’occasion de déguster l’une ou l’autre de ces préparations. Notez pour l’anecdote que l’on trouve en Thaïlande des glaces et des pâtisseries parfumées au durion, et même des bonbons au durion. Si vous avez l’occasion, ramenez-en quelques sachets de votre prochain voyage en Thaïlande, et offrez-en aux gens que vous aimez… ou que vous n’aimez pas, selon votre point de vue. ☺
(Les photos qui illustrent ce billet ont été prises les 6 et 7 novembre 2011 à Kuala Lumpur.)
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Bonjour
Il y a une pseudo recette qui consiste à faire fondre la pulpe de durian avec du lait de coco et du sucre. On nappe ensuite cette crème odorante « thro lenn kh’ti » du riz gluant et on déguste cela en dessert. Je pense que c’est cambodgien, en tout cas mes parents en ont toujours fait durant la saison des durians.
Bonjour,
Je ne connais pas, mais ça me semble tout à fait cambodgien :
1. Le nom, « thu-ren khtis » (ធុរេនខ្ទិះ) est tout à faire khmer : ធុរេន c’est le nom du durion en khmer, et ខ្ទិះ, qu’on pourrait traduire par « sucré », est un nom commun à beaucoup de plats sucrés dans la composition desquels entre du lait ou de la crème de coco ;
2. J’ai dégusté à Phnon Penh un dessert qui ressemble beaucoup au vôtre, la seule différence étant l’emploi de fruit du jacquier à la place du durion.
Je demanderai autour de moi, mais je crois que la nationalité cambodgienne du dessert (ou au moins sa présence au Cambodge) est incontestable.
Pascl
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